Une rencontre
Claire :
J’ai connu Michel et Christine à l’occasion de la préparation de notre mariage. J’étais très éloignée de la religion. Iyad m’a proposé que nous nous mariions à l’église en me disant : « Je vais te faire connaître des gens formidables. » Il me parlait de son parrain Michel qui était prêtre et de Christine. Quand on aime quelqu’un on est porté à lui faire confiance. J’ai suivi Iyad. Pourtant les mariages catholiques auxquels j’avais assisté jusque-là ne m’inspiraient pas. Ne connaissant pas très bien les rites, je m’y étais un peu ennuyée et n’avais pas senti la profondeur et l’importance de l’engagement pris devant moi. J’ai fait confiance à Iyad et j’ai volontiers accepté de rencontrer Michel et Christine. J’insiste pour lier les deux prénoms. Ils sont pour moi inséparables. Quand on me parle de notre mariage, je dis toujours : « Nous avons été mariés par Michel et Christine. »
Iyad :
Contrairement à Claire, je suis né dans une famille pratiquante. Mes parents, chacun dans leur genre, sont très critiques par rapport à l’église mais, bien avant notre mariage, ils avaient trouvé une paroisse, proche de chez nous, dont ils aimaient le climat. Mon père surtout nous emmenait, ma sœur et moi, à la messe le dimanche. Là tout le monde disait : Michel et Christine. Ils partageaient la responsabilité de la paroisse. Christine prêchait un dimanche sur deux en alternance avec Michel.
Nos parents ne nous ont pas fait baptiser à la naissance. Je l’ai été à l’âge de 11 ans. C’est moi qui ai choisi Michel pour parrain. Je sais qu’il est théologien mais je ne connais rien de lui à ce niveau. Je l’ai choisi pour son écoute et la liberté qui émanait de lui. Sa foi se traduisait ainsi et c’est dans cette foi vivante que je désirais qu’il m’aide à vivre. Si Michel et Christine n’avaient pas pu nous préparer au mariage, j’aurais renoncé à une célébration à l’église. Je n’aurais pas accepté de me soumettre aux conventions et aux rites qui ne signifient rien pour moi.
Une préparation au mariage passionnante
Claire :
A propos de la préparation au mariage, on entend nos amis dire qu’ils ont dû assister– avec plus ou moins de motivation –à plusieurs réunions avec d’autres couples. Pour nous, rien de tout cela. Michel et Christine ont donné trois points de repères : un passage d’évangile à choisir, l’échange des consentements et le Notre Père. Puis ils ont ajouté : l’important est de trouver ce que vous voulez faire entendre de votre amour ce jour-là.
D’emblée, ils étaient à l’écoute de ce que nous désirions faire de notre célébration de mariage. Et, comme nous ne le savions pas très bien encore, ils nous ont parlé de la « lettre d’intentions » que l’Église demande aux fiancés d’écrire. Ils ont proposé que nous nous interrogions sur nos intentions en décidant de nous marier et en désirant le faire à l’église. Puis de voir seulement ensuite ce que nous aimerions en traduire dans la célébration. Nos intentions, bien que très fortes, étaient encore confuses. Là encore, ils ne nous ont pas laissés dans le vide. Ils nous ont dit que l’Église demandait aux futurs époux de se promettre fidélité, de se marier pour toujours, de ne pas refuser d’avoir des enfants et d’être libres de toute contrainte au moment de leur engagement.
Nous avons vécu, Iyad et moi, une préparation au mariage passionnante. Il ne s’agissait pas de faire les bonnes réponses comme on coche une case dans un formulaire. Nous avons été amenés à nous interroger en vérité.
Iyad :
Nous nous sommes interrogés, par exemple, sur ce que pourrait représenter la fidélité dans notre couple. L’espérance de vie a largement augmenté et nous avions, sauf accident, environ 60 ans de vie commune devant nous. Pouvions-nous nous engager sérieusement à ne jamais avoir aucune aventure amoureuse pendant ces 60 ans ? Certes, puisque nous nous aimons vraiment, cela nous semblait inenvisageable de nous tromper. Mais la chair est faible et pouvions-nous être sûrs de ne jamais céder ? Après réflexion, nous avons déclaré dans notre « lettre d’intentions » tout faire pour ne pas nous tromper et nous nous sommes engagés à nous pardonner si nous tombions une fois ou l’autre au cours de notre existence commune.
Nous avons aussi réfléchi au fait que la fidélité ne consiste pas seulement à ne pas avoir de rapports sexuels avec quelqu’un d’autre. Il s’agit aussi et peut-être surtout de « faire couple » et non de vivre chacun de son côté sous le même toit. Nous vivions déjà ensemble avant le mariage et nous savions qu’il est plus facile de ne pas parler d’une difficulté dans notre relation plutôt que de l’aborder. Il faut du courage pour risquer de blesser l’autre. Nous nous sommes engagés à risquer des « scènes de ménage » plutôt que de construire une vie sans conflit mais à l’écart l’un de l’autre.
Faire la vérité entre nous
Claire :
Nous sommes mariés depuis 7 ans. Nous travaillons tous les deux et nous avons trois enfants. Il a été très important pour nous de prendre cet engagement à être dans l’écoute l’un envers l’autre avant notre mariage. Cette fidélité à nous parler en vérité n’est pas du tout facile à tenir. Nous sommes fourbus le soir après avoir pris du temps avec les enfants – tous les trois très vivants ! Après les avoir couchés, il nous reste encore à faire face aux tâches de toute famille : lessive, cuisine, règlement des factures, etc. Nous n’avons pas de temps ou plutôt il nous faut faire un effort pour trouver le temps d’aborder des « questions qui fâchent » alors que nous aspirons au repos. Il nous faut aussi essayer de choisir le bon moment, celui où l’autre sera le plus possible accessible. Cet engagement à être attentif l’un à l’autre, pris après une réelle réflexion avant notre mariage, est la base de notre vie quotidienne de couple.
Mais cette réflexion a été favorisée par l’écoute de Michel et de Christine. Ils n’attendaient pas de nous la « bonne réponse » qui nous aurait autorisés à avoir un mariage à l’église. Ils nous aidaient simplement à faire la vérité entre nous. Quand l’Église nous aide ainsi à nous parler en vérité cela change tout. C’est exactement cela que nous attendions de l’Église !
Michel et Christine m’ont d’une certaine manière amenée vers l’Église. Notre aîné, âgé de 7 ans a voulu assister aux séances d’éveil de la foi animées par une voisine. Je les ai accompagnés parfois et j’ai été surprise. À la fin d’une messe, un homosexuel a pris la parole. Il était entouré d’une équipe d’amis et invitait les gens à une rencontre avec des homosexuels. Je ne savais pas que de telles propositions étaient faites dans l’Église. Je ne prends pas le temps de participer à ces rencontres mais cela me rassure qu’une paroisse de ce genre existe près de chez moi. Je me dis que si un jour j’en ai besoin, je pourrai trouver là un lieu fraternel. On peut donc trouver cela dans l’Église.
Une célébration inattendue
Iyad :
Après avoir pris le temps de mettre par écrit notre propre « lette d’intentions », il nous restait à voir ce que nous désirions en traduire dans la célébration de notre mariage. Outre l’échange des consentements et le Notre Père, il nous restait à choisir un évangile mais aussi à exprimer le mieux possible le couple que nous formions en fonction de ce que pourraient en entendre nos familles et nos amis.
Parmi nos amis, il y avait, entre autres, des anticléricaux, des non croyants, des catholiques très classiques, des indifférents, des personnes d’autres religions. Du côté de nos familles, celle de Claire est majoritairement enracinée en Picardie. Ils ne sont pas pratiquants et certains membres pouvaient avoir un a priori envers les étrangers. De mon côté, je suis fils d’un père syrien et d’une mère russo-allemande. Tous les invités, bien sûr, viendraient avec un préjugé de bienveillance pour nous mais le cocktail n’était pas pour autant sans risque.
Alors, avec Michel et Christine, nous avons inventé. Un des textes était en arabe, des musiques étaient russes. Nous avons ainsi trouvé des gestes qui pouvaient être signifiants pour tous. Surtout, nous avons tenté d’être nous-mêmes. Plusieurs années après, on nous parle encore de notre mariage comme d’un événement inattendu. Les cathos de « la manif pour tous » ont fraternisé, au moins l’espace de cette célébration, avec les plus anticléricaux. Les Picards ont fraternisé avec les Arabes ! Et le climat créé par cette célébration s’est répandu sur toute la soirée : tous ont appris à chanter et à danser au rythme de la Syrie, de l’Allemagne, de la Russie… et de la France !
Du goût pour une humanité fraternelle
Claire :
Tout cela n’a été possible que par l’écoute de Michel et de Christine. Michel est décédé en juin 2019. La première fois que nous avons rencontré Christine seule nous pensions la voir souffrir profondément du départ de Michel. En fait, elle nous a dit – et nous l’avons constaté – qu’elle n’avait pas perdu Michel. Bien sûr ses repères ont changé mais c’est, dit-elle, une nouvelle aventure qui commence avec lui toujours présent mais autrement…
Ceux qui n’ont pas connu Michel et Christine s’étonnent de cette fraternité totale et improbable entre un homme et une femme, un prêtre et une laïque célibataire, dans une relation d’amitié profonde et chaste. Pour tous ceux qui les ont connus, on ne pourra jamais dire Michel sans Christine. Ils ont vécu dans la vérité et cette Vérité, qui selon leur foi a pour nom Dieu lui-même, les a rendus à la fois libres et libérants pour les autres. Leur relation, passée par la mort de Michel, mystérieusement la dépasse. Ce lien fraternel entre eux est un modèle pour le couple que nous formons.
Iyad :
Claire n’est guère pratiquante mais elle est croyante. Moi j’ai du mal à me dire croyant. Je reconnais une force qui nous dépasse et habite l’humanité. Mais il me semble que la nommer « Dieu » serait me couper de mes amis non-croyants qui eux aussi aspirent à un monde fraternel. Ils sont engagés autant et plus que moi pour qu’advienne ce monde. Dire « Dieu » alors qu’ils ne le disent pas ce serait comme poser un « plus » par rapport à eux. Je voudrais être simplement l’un d’entre eux, sans plus. J’essaye de m’y employer du mieux que je le peux.
C’est de Michel, mon parrain, que j’ai reçu cette liberté à dépasser toute appartenance religieuse. Il était profondément croyant et sa foi l’a poussé à lutter concrètement pour plus de justice. Ce combat, il l’a mené avec des croyants musulmans ou de toute autre religion comme avec des athées. Il n’hésitait pas à dire sa foi sans pour autant l’imposer en quoi que ce soit. Il combattait une Église qui impose ses vues ou dont les membres se prétendent supérieurs. C’est en grande partie à lui que je dois ce goût pour une humanité fraternelle qui dépasse les frontières. J’espère que notre couple et après nous nos enfants sauront transmettre concrètement cet héritage.
Iyad et Claire Hallaq, 5 septembre 2019
Peinture de Soeur Marie-Boniface