Écriture et méditation
Né à Lisieux, haut lieu de pèlerinage dédié à sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, c'est en vain que j'ai guetté une pluie de roses : il faut croire que toutes les âmes ne s'appellent pas Martin... Et je n’ai pas suivi non plus la voie de l’imagerie saint-sulpicienne qui s’attache à la petite Thérèse.
Les territoires que j’ai explorés sont autres : ceux des signes, de l’écriture au sens de graphie, qui ont toujours exercé sur moi une grande fascination. Ils m’ont confirmé dans les choix d’une peinture que l’on dit abstraite, non figurative, et qui est pour moi une forme de méditation.
De l' « Immaculée Conception » de Zurbarán aux tableaux cubistes, des mots s'inscrivent dans la peinture comme des éléments plastiques, sortes de mots-images, de discours graphiques qui, bien souvent, trouvent place dans un phylactère, une tablette, un cartouche.
C’est ce matériau qu’est l’écriture que j’ai choisi d’observer, comme élément plastique. Traces et signes, débarrassés de leur sens, signifiants sans signifiés disait Roland Barthes, se sont retrouvés au cœur de mon travail. J'ai joué de mes pinceaux et donné à voir sur la toile le trait, cherché à le faire exister par lui-même dans sa profondeur, sa largeur, son épaisseur, son énergie.
C’est l’idée d’écriture que j’ai interrogée, son envers, avec ces signes qui naissaient sous mon pinceau, révélés, grattés, raturés, balafrés, formant d’improbables palimpsestes.
L'écriture et la croix
Et puis est venu ce jour, dans les années quatre-vingt-dix, où s’est imposé à moi un motif qui m’a conduit à aborder un peu différemment l’écriture. Ce motif, c’était celui du chemin de croix, récit en images et en texte de la passion, fixé dans sa structure en quatorze stations, au milieu du 18ème siècle, par le franciscain Saint Léonard de Port-Maurice.
J’avais eu l’occasion de voir, quelques années plus tôt, dans la petite église de Carsac, en Dordogne, le très beau chemin de croix réalisé par le peintre Léon Zack, dans les années cinquante, avec l’aide de sa fille, Irène. Ce chemin de croix est constitué de quatorze panneaux en terre cuite qui représentent les quatorze stations du Christ. Chacune des stations a pour motif central La Croix qui s'inscrit dans un élément géométrique abstrait en relief qui accompagne un texte gravé, tiré d'un poème de Paul Claudel, « Chemin de la Croix », paru en 1915.
Dans le chemin de croix que j’ai réalisé de mon côté (chemindecroix.html), et que l'on peut voir dans une chapelle de la cathédrale d'Évreux, j’ai cherché non pas à illustrer mais exprimer le drame qui se joue, dans un parti pris non figuratif où écriture, formes et couleurs se répartissent les rôles. Je me suis attaché pour l’essentiel à créer une unité et une simplicité de forme, faisant du carré le motif central dans lequel j’ai commencé par recopier les écrits qui disent la passion du Christ. Je les ai ensuite rendus, à dessein, illisibles (ne laissant visible que la référence aux textes bibliques), parce que cela me semblait plus juste pour exprimer le caractère sacré du texte, la manière dont le sens est débordé. Cela a donné quinze tableaux (car j’ai préféré ne pas clore la passion du Christ sur le tombeau mais l’ouvrir sur une quinzième station, la résurrection), quinze icônes abstraites.
La palette, dans les stations 3, 7 et 9 au cours desquelles le Christ tombe, est faite d’ocre et de terre. Le bleu, lié à la représentation des femmes, est utilisé pour les stations 4, 6 et 8. Les couleurs s’assombrissent dans les stations 10, 11 et 12 qui sont l’expression de la détresse et de la violence, puis elles passent par le froid du gris et le chemin de croix s’achève sur la lumière de la résurrection.
Peinture et poésie
Passé de la trace au livre sacré, j’ai poursuivi mon exploration de l’écriture, tissant de plus en plus des liens entre les écrits des poètes que je lis et mon travail de peintre, passionné par ces écrivains qui, en symétrie, jetaient des passerelles entre Belles-Lettres et Beaux-Arts. Je pense à Mallarmé et son poème graphique de 1897, "un coup de dés jamais n'abolira le hasard", ou à Apollinaire et ses calligrammes en 1913, ou encore à Christian Dotremont dont les logogrammes constituent, dès 1962, une œuvre littéraire et plastique à la fois.
Ces œuvres poétiques où l'écriture se fait image sont à l'origine de nombre de travaux que j'ai réalisés dans ma peinture.
Il y avait le livre, il y avait la peinture ou plus probablement les deux étroitement liés, cela allait de soi que la peinture se saisisse amoureusement, délicatement du livre et que le livre devienne tableau. Et tout particulièrement le livre dû à des poètes.
Particulièrement sensible à la poésie, j'associe volontiers mes gravures à des textes d'écrivains contemporains, avec lesquels je noue des amitiés de papier : Pierre Autin-Grenier, Henri Droguet, Béatrice Marchal, Jean-Michel Maulpoix, Richard Rognet, pour n'en citer que quelques-uns. De ce dialogue entre poème et couleurs naît un échange. D'un clavier à l'autre (azertyuiop pour l'auteur, encres et pigments pour l'artiste) se met en place, bien plus qu'une influence, la recherche d'un bonheur partagé. C'est dans ce cadre que je situe mon travail avec des poètes contemporains, qui s'inscrit dans le prolongement de celui de mes aînés.
La peinture, le livre et le portrait
Il en va de même de ma participation à l'aventure des "livres pauvres" initiée par Daniel Leuwers - le livre pauvre ne passe pas par les circuits habituels, éditeur, imprimeur, librairie, chaque exemplaire est une création originale sur papier, manuscrite est illustrée. Le nombre d'exemplaires est limité à quatre, cinq ou six. Ces livres sont régulièrement présentés et exposés en France et à l'étranger.
Ce goût pour l’écriture poétique m’a conduit à retrouver le chemin de la figuration avec les portraits que j’ai réalisés des poètes qui m’accompagnent. À partir d’un texte recopié à la main par ces poètes, j’ai ainsi réalisé des portraits qui mêlent étroitement leurs traits physiques à leur graphie. Ce si peu d'encre que l'on est : deux dates et un nom. C'est sans doute cela que je cherche à capter dans ce travail, la part d’éternité de chacun d’entre nous et qui se dévoile dans ce qu’il crée.
Que l'on soit écrivain ou peintre, nous venons du silence et retournons au silence, le reste n'est que parenthèse nourrie de mots et de signes. Pour autant, cette matière mortelle qui est l'artiste se montre capable de produire de l'esprit vivant, qui est l'art. Finalement c'est cette vertu qui me fascine le plus dans l'art, et qui me sert de caisse de résonance dans cette folle aventure humaine.
Dominique Penloup
Peintures de Dominique Penloup