La composition multiculturelle de nos sociétés augmente le nombre des groupes présents sur un territoire et les interactions entre ces groupes. Les lignes de partages, frontières entre groupes, traditions, cultures ne cessent de se redessiner à l’infini. Et les interférences aux frontières de se multiplier. Il ne s’agit plus de groupes compacts et constitués comme au temps des empires coloniaux. Mais il s’agit d’autres formes de mises en présence et d’interférences, apparemment plus ponctuelles, plus localisées, mais qui, en même temps, atteignent un nombre croissant d’êtres humains. L’interculturel est omniprésent et avec lui les formes multiples du métissage culturel. Se retrouvent ainsi partout répandus les problèmes liés à la différence, au mélange et à la violence que le métissage, dans ses formes historiques, a poussé à l’extrême. Mais précisément à travers lui s’indiquent les issues possibles.
La différence, le mélange et la violence sont d’une certaine manière ce dont l’humanité a horreur. Les individus comme les sociétés ne cessent de les conjurer, de canaliser toute relation sociale afin qu’elle soit sans risque, de déplacer la violence afin de la localiser et qu’elle porte sur autrui plutôt que sur soi-même. Mais en même temps, pas d’existence digne de ce nom sans ouverture à l’universel, rencontre d’autrui, risque de l’inconnu. Le métissage est là comme un indicateur de la voie possible. Puisqu’il est dans l’humanité le lieu même où sans cesse se remettent en cause les identités, les frontières et les projets. Telle une onde qui parcourt un plan d’eau, il parcourt les groupes humains et les sociétés renvoyant aux secousses qui les ébranlent et qu’elles voudraient ignorer, inquiètes, voire effrayées de ce qu’elles vont engendrer. Le renversement actuel nous invite au contraire à les regarder en face. À voir les potentialités d’une multiculturalité ouverte au métissage.
(…) La géographie retrouve ici ses droits. Non plus comme point de départ et nostalgie d’une terre des ancêtres, dans le passé. Mais comme territoire où convergent les multiples héritages qui se tissent entre eux pour construire l’avenir. Dès lors, il s’agit de regarder en avant. Moins vers un passé mythique, des traditions immuables ou une pureté illusoire, danger de tous les nationalismes ou de tous les intégrismes. Mais vers le possible des rencontre interhumaines, des métissages inéluctables. Ce n’est donc pas la fin de l’histoire. Mais au contraire son renouvellement permanent, le jeu indéfini de la nouveauté se récréant sans cesse. Imprévisible, comme le flux continu des humains se mêlant et engendrant d’autres humains, faisant émerger sur le sol de la planète Terre, la grande variété des sociétés et des cultures. « Le temps du métissage » est aujourd’hui.
Jacques Audinet
Peinture de Hari Mitrushi
1- Jacques Audinet, Le temps du métissage – Editions de l’atelier 1999 – Extraits des pages 145, 146 et 153 / Retour au texte