Sur l'eucharistie
Christine Fontaine (extraits)
Depuis les origines du christianisme, c’est au partage du pain et du vin que l’on reconnaît les disciples du Christ et qu’ils se reconnaissent entre eux, membres d’un même Corps. Certes on ne pouvait pas alors parler de ministères institués pour présider ces eucharisties puisqu’il n’y avait pas encore d’institution. Elle ne se met en place que dans le courant du 2ème siècle. Depuis toujours on disait : pas d’Église sans eucharistie. Depuis la fin du second siècle on déclare : pas d’eucharistie sans prêtres… et donc pas d’Église sans prêtres… qui selon le récit de la Cène sont tous des hommes. D’où la constitution d’un clergé uniquement masculin. Pour sortir de ce sexisme patriarcal, on peut vouloir remonter avant le 2ème siècle mais on peut aussi se demander ce que signifie depuis toujours célébrer l’eucharistie pour les chrétiens.
Juste après que le prêtre a consacré le pain et le vin, l’assemblée répond : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection et nous attendons ta venue dans la gloire ! » L’eucharistie n’est rien d’autre que l’actualisation de la mort et de la résurrection du Christ dans et pour son Corps qu’est l’Église. Or le Vendredi Saint, un Dieu est mort. Au cours de l’eucharistie, nous célébrons la mort de ce Dieu tout-puissant : celui qui gouvernait le monde, le sanctifiait et l’enseignait du haut de sa splendeur. Le Christ, à l’heure de sa Passion, renonce volontairement à exercer une quelconque domination sur l’humanité. C’est ainsi qu’il révèle un autre Dieu, demeuré caché depuis l’origine, un Dieu qui abandonne toute puissance afin de révéler à chacun qu’il est maintenu, non par ses mérites mais par grâce, dans un Amour totalement libre et gratuit, sans limites et sans fin. C’est ce nouveau visage de Dieu qui se révèle, par Jésus, au jour de Pâques : un Dieu humble et pauvre en quête seulement de notre confiance. Chaque eucharistie renouvelle cet acte par lequel le Dieu de la toute-puissance meurt. Recevoir le Corps et le Sang du Christ c’est se laisser nourrir et abreuver d’un Amour qui passe par nous et nous dépasse afin de devenir capables – de limites en limites - à notre tour d’aimer chacun pour lui-même sans le contraindre à quoi que ce soit, pas même à nous aimer en retour.
Lorsque Jésus, à l’aube de sa vie terrestre, fut présenté au Temple par ses parents, le vieillard Syméon les bénit et déclara à Marie, sa mère : « Vois ! cet enfant (…) sera un signe de contradiction… » (Lc 2,34). La contradiction ne consiste-t-elle pas à faire de l’eucharistie - signe de l’abandon total de tout pouvoir de Dieu sur l’humanité - le moyen d’exercer un pouvoir sacré dont certains seulement – qu’ils soient hommes ou femmes - seraient dotés ? Les relations entre personnes de même sexe ou de sexes différents sont prisonnières d’un jeu de pouvoir dans toutes les institutions humaines. Mais alors que les autres institutions ont une fonction précise, telle que l’éducation ou la santé, l’Église aujourd’hui n’a plus dans la société aucune fonction particulière. Si ce n’est d’annoncer en paroles et en actes la mort d’un Dieu de Majesté et l’advenue d’un Dieu qui « abaisse les puissants de leurs trônes et élève les humbles, comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides » (Lc 1,51b-52). Quand l’Église manque à cette vocation elle se pervertit. De cette perversion découlent toutes les autres. L’institution ecclésiale aura beau ordonner des prêtres, hommes ou femmes, et instituer des ministères pour des laïcs, elle n’a plus aucune raison d’exister si elle ne combat pas d’abord en son sein la volonté de puissance des uns sur les autres. C’est ce qu’on attend d’elle. C’est parce que, trop souvent, elle ne le fait pas que des croyants la quittent.
Vouloir maintenir l’Église en l’état ou vouloir la réformer sans s’interroger – et se laisser interroger – sur ce pouvoir sacré qui ne serait attribué qu’à certains ou certaines alors que les autres en serait dépourvus, c’est construire sur du sable : « La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet » (Mt 21,28). Il n’y a peut-être pas plus de raisons – fussent-elles théologiques - que des prêtres soient seulement des hommes ou que les femmes accèdent au presbytérat. Mais, qu’ils soient hommes ou femmes, cela ne changera rien si des baptisés – quels que soient leur sexe et leur statut – ne contestent radicalement, au nom de l’Évangile de Jésus-Christ, la manière dont s’exerce le pouvoir sacré – celui où Dieu se donne – dans l’eucharistie.
Christine Fontaine
Extraits de L'Eglise en question, pages 150-152