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32ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
Mt 25, 1-13

Jésus parlait à ses disciples de sa venue ; il disait cette parabole : «Le Royaume des cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe et s'en allèrent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient insensées, et cinq étaient prévoyantes : les insensées avaient pris leur lampe sans emporter d'huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leur lampe, de l'huile en réserve. Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre: 'Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre.' Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leur lampe. Les insensées demandèrent aux prévoyantes: 'Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent.' Les prévoyantes leur répondirent: 'Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous ; allez plutôt vous en procurer chez les marchands.' Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et l'on ferma la porte. Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent: 'Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !' Il leur répondit: 'Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.' Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure.»

Déchirures
Michel Jondot

Agissons-nous sagement ?
Christine Fontaine


Déchirures

Un groupe déchiré

« Vraiment ce que je fais, je ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais. » Ce disant, Paul, dans sa lettre aux Romains, évoque la condition du croyant : chacun est déchiré entre des tendances contradictoires au point que coexistent en lui deux centres de volontés apparemment inconciliables. La remarque de l’apôtre pourrait servir de commentaire à la parabole de ces dix jeunes filles.

On s’étonne souvent devant l’égoïsme de ces cinq gamines qui refusent de venir en aide à leurs compagnes : « Allez donc chez le marchand ! » Jésus donnerait-il en exemple ce refus d’entendre un appel au secours ? C’est oublier que ce récit met en scène ce que Jésus appelle « le Royaume des cieux ». Dans la parabole, le royaume n’est pas celui de l’époux dont on attend la venue, il n’est pas celui des vierges qui ont eu la chance de pouvoir trouver place dans la fête. Le royaume dont il parle « ressemble à dix jeunes filles invitées à des noces » et non à ces seules chanceuses « qui entrèrent dans la salle » où l’on danse. Le royaume est dans le constat d’une déchirure entre celles qui ont tout lieu d’être satisfaites et les autres qui sont profondément déçues.

« Le royaume est en nous »

Le royaume est en nous. Chacun peut le reconnaître : les contraires se mêlent dans nos vies comme entre les dix actrices de la parabole.

L’histoire racontée par Jésus nous plonge dans la nuit : « au milieu de la nuit. » Dans l’obscurité cinq lampes s’allument : on peut aller de l’avant. On peut déceler en nous ce même jeu d’ombre et de lumière. Nous savons, en effet, ce qu’est le deuil lorsque disparaît un être cher ; nous connaissons aussi le bonheur de l’amitié ou de l’amour. Joie et tristesse se conjuguent dans nos vies.

« Elles s’assoupirent toutes et s’endormirent… il y eut un cri, alors toutes se réveillèrent. » Les jours se suivent et se ressemblent : « métro, boulot, dodo. » Monotonie des jours ! On est tellement abasourdi par les tâches quotidiennes que les yeux se ferment sur la marche du monde ou sur les soucis d’autrui. « Il y eut un cri… toutes se réveillèrent. » Rappelons-nous les évènements qui bouleversent des vies et qui nous obligent à regarder la réalité : « Ouvre les yeux, le jour se lève / Ouvre ton cœur, ouvre tes mains ! » Des troubles sociaux agitent le pays : ou bien on en prend conscience brusquement et on s’engage, comme ces filles qui vont partir en s’efforçant de voir clair, ou bien on se résigne comme celles dont les lampes sont vides et qui ne peuvent faire face. C’est en chacun que se produit ce croisement entre le fait d’aller de l’avant et cette incapacité à réagir.

Cinq jeunes filles « entrèrent dans la salle de noces » et on mit à la porte les cinq autres : « Je ne vous connais pas. » Nous faisons l’expérience de ce va-et-vient entre la satisfaction et la déception. Certains ont plus de chances que les autres, peut-être. Mais qui n’a jamais été amené à se réjouir d’atteindre le but qu’il visait et qui n’a jamais pris conscience des limites imposées à ses attentes, autrement dit de ses échecs ?

« Cinq d’entre elles étaient insouciantes et cinq étaient prévoyantes. » L’appel à la vigilance est la conclusion de l’histoire : « Veillez ! » La vigilance s’enracine dans le désir et dans le cœur. « Du cœur sort ce qui souille l’homme » a dit Jésus. Le cœur est également le point de départ des actes de générosité dont chacun est capable. Il est fallacieux de distinguer les bons et les méchants. Nous sommes tous à la fois prévoyants et insouciants, justes et pécheurs.

« Le Royaume est entre nous »

Ce n’est pas seulement en chacun de nous que se croisent la nuit et le jour, c’est aussi entre nous.

Songeons à nos relations. Au sein d’une même famille on décèle des liens de tendresse qui illuminent la vie ; en même temps on vit des rivalités qui l’assombrissent. Au sein d’une même entreprise on se déchire ou on se soutient contre d’éventuels abus de pouvoir. Au sein d’un même pays, des citoyens s’engagent pour que les portes s’ouvrent aux migrants tandis que d’autres militent pour qu’on leur dise comme aux malheureuses jeunes filles : « Je ne vous connais pas. »

Que dire devant les injustices internationales   Et devant les violences ? En l’occurrence il serait dangereux de dire où sont les torts ; ce serait oublier le message de la parabole : les uns et les autres, les uns avec les autres font le Royaume. De l’Evangile nous apprenons que coupables ou innocents sont solidaires les uns des autres. Certes, le Royaume comporte des vigilants et des insouciants, mais les saints comme les pécheurs, pour séparés qu’ils soient, sont rencontrés par le même Seigneur dont la vie et la mort ont manifesté l’amour dans lequel nous sommes tous pris.

« Seigneur, fais-moi connaître mes péchés », disait Pascal. A cette prière il savait bien quelle est la seule réponse possible : « Si tu les connaissais tu perdrais cœur. » A se pencher sur ces déchirures qui nous traversent – nous et notre entourage, nous et notre univers – nous courons au désespoir. Mais nous sommes dans le Royaume et le Royaume est en nous et entre nous. Il est comme le grain semé en terre ; il travaille quoi qu’en disent nos yeux. Il vient le jour de la récolte où semeurs et moissonneurs chanteront ensemble dans un univers réconcilié !

Michel Jondot

Agissons-nous sagement ?

Les vierges sages

Dix jeunes filles invitées à des noces prirent leur lampe et s’en allèrent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées, et cinq étaient prévoyantes… Les prévoyantes avaient pris, avec leur lampe, de l’huile en réserve.

Elles avaient prévu, elles avaient fait des réserves d’huile et c’était sage. Mais elles n’avaient guère le sens du partage ces cinq vierges, dont Jésus vante le comportement. Lorsqu’on possède une quelconque richesse et que les autres en sont démunis, l’Evangile nous habitue à penser qu’il est bon de partager avec ceux qui manquent.

Cependant, Jésus fait l’éloge de ces cinq jeunes filles. Elles sont sages, aux dires de l’Evangile. Et elles le sont en vérité, car elles ont de l’huile en réserve pour parcourir le chemin – de nuit – entre le lieu où elles se trouvent et la salle de noces ; mais, si elles partagent, il ne leur restera que la moitié de leur réserve et elles n’auront plus de quoi éclairer le chemin de l’époux jusqu’à la salle du banquet. «Nous n’avons pas assez d’huile pour vous et pour nous.» En partageant avec les vierges folles elles n’auraient, toutes ensemble, pas assez d’huile pour faire tout le chemin. Elles prévoient qu’en partageant elles seraient toutes, à mi-chemin, plongées dans la nuit. Jésus vante la sagesse de ces femmes qui prévoient qu’en partageant, sous couvert de générosité, elles plongeraient l’époux avec elles dans la nuit.

Les vierges folles

Dix jeunes filles invitées à des noces prirent leur lampe et s’en allèrent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées, et cinq étaient prévoyantes… Les insensées avaient pris leur lampe sans emporter d’huile.

Elles avaient oublié de faire des réserves d’huile et c’était un peu fou. Mais de là à leur refuser l’entrée de la salle d u banquet alors qu’en pleine nuit elles vont chercher de l’huile et finissent par en trouver! «Seigneur, Seigneur, ouvre-nous», disent les vierges folles et l’époux répond: «Amen, je vous le dis, je ne vous connais pas!» L’intransigeance de l’époux est déroutante!

Cependant Jésus déclare que ces vierges folles méritent un tel traitement. Elles sont insensées, dit Jésus. Et elles le sont, en vérité. Mais ce qui est insensé dans leur comportement ce n’est peut-être pas tant d’avoir oublié l’huile. Elles sont insensées, ces cinq jeunes filles, qui attendent l’époux toute une partie de la nuit et qui, lorsqu’on annonce son arrivée, s’en vont. Au lieu de penser à la joie de rencontrer l’époux elles s’attardent à ce qui leur manque : elles manquent d’huile ! Mais l’époux leur en aurait-il fait grief ? Après tout, les cinq autres suffisaient pour éclairer tout le chemin ! Elles auraient pu, tout à la joie de rencontrer l’époux, lâcher leurs pauvres lampes devenues inutiles. Elles auraient pu paraître devant l’époux les mains vides et le cœur plein de joie de la rencontre. Elles auraient pu, ayant lâché leur lampe, avoir les mains libres pour se tendre vers l’époux. Et elles choisissent de plonger dans la nuit pour trouver une huile totalement inutile ! Elles sont insensées d’agir ainsi. Elles sont insensées de s’éloigner de celui qu’elles attendent sous prétexte qu’elles n’ont pas de quoi l’éclairer.

Agissons toujours sagement !

« Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas », répond l’époux lorsqu’enfin elles arrivent vers lui. Il ne connaît pas celles qui n’ont pas connu, reconnu, que ce manque d’huile était sans importance pour l’époux. Comment, déclare l’époux, avez-vous pu penser que j’avais besoin de votre huile, que j’avais besoin de vos œuvres? J’avais besoin de votre présence, de votre accueil et vous êtes parties ! Vous ne me connaissez pas, vous qui à l’heure où vous manquez, choisissez de vous éloigner de moi et plongez dans la nuit. Vous ne me connaissez pas, vous qui ne venez pas vers moi les mains vides! Je n’ai pas besoin de vos œuvres. J’ai besoin de votre présence et vous ne l’avez pas compris!

Veillez donc, dit Jésus, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Veillez donc à ne pas agir sottement. Si vous avez de l’huile en réserve, avant de partager avec ceux qui en manquent, demandez-vous si vous en avez suffisamment pour vous-mêmes. Ayez la sagesse de ne pas donner plus que ce que vous pouvez. Mais veillez aussi, si vous manquez d’huile, à ne pas avoir la folie de vous en affliger au point d’oublier que ce qui m’importe est votre présence sur le chemin à mes côtés. Lorsque vous manquez, au lieu de vous enfuir, lâchez ce qui vous reste… Lâchez vos lampes à huile et venez à moi les mains vides. Réjouissez-vous aux heures où vous aurez des réserves comme aux jours où vous en manquerez. Réjouissez-vous à chaque instant!

Christine Fontaine