Passage de Dieu dans la ville
« Qu’est- ce que je fais ici ?
J’appelle, j’appelle, j’appelle
J’appelle quelqu’un de faible...quelqu’un de brisé
Quelqu’un de fort que rien n’a pu briser
J’appelle quelqu’un de là-bas...quelqu’un au loin perdu
Quelqu’un d’un autre monde... »
Henri Michaux
Les pleurs et le silence
Tel est le cri de celui qui n’a plus personne en ce monde
Pour le sortir d’une écrasante solitude.
Mais celui-là n’a pas touché le bout de la pauvreté
Car demeure en lui cette possibilité de crier
De parler, d’appeler encore...
Celui dont le corps brisé est traversé par un appel
En forme de cri désespéré,
Celui-là n’est pas au bout de la solitude.
Une femme, seule dans la vie.
Elle n’a plus de mari.
Son fils, son unique, lui restait... Il est mort.
Son soutien a disparu : elle s’effondre.
Elle n’appelle plus, elle pleure.
Une femme qui n’a plus rien à attendre de la vie.
Avec son fils trop tôt disparu
L’image du bonheur pour elle est cassée,
Elle va être ensevelie à tout jamais.
Seule lui reste cette tâche de mettre son fils en terre.
Une femme brisée : elle n’appelle plus, elle pleure...
Elle est au bout de la solitude.
Autour de la femme, c’est la contagion de la tristesse.
Une foule nombreuse l’entoure sans pouvoir la rejoindre.
Silence de la femme, silence de la foule,
Tout se tait, plus rien ne passe.
Le fils unique est mort et la mère se traîne.
Le fils unique est mort, il entraîne à sa suite
Et sa mère et la foule.
Cortège funèbre : la mort a visité un peuple.
On est aux portes de la ville, déjà à l’extérieur...
De l’autre côté de la société des hommes.
Au croisement de la mort et de la vie
En face de cette foule, une autre...
Une foule joyeuse venue de la campagne cherche à entrer
Dans la ville,
A rejoindre la demeure des hommes.
Une foule suit Jésus, le Fils unique du Père,
Le Vivant.
Une foule guette la Parole, le Verbe de Dieu...
Bruissement de paroles, de joie et de désir
C’est la contagion de la vie.
On est aux portes de la ville et les foules se croisent.
Les uns veulent entrer et les autres sortir.
Tout s’emmêle :
C’est la confusion de la mort et de la vie,
De la joie et des larmes.
Tout s’arrête :
Le temps est suspendu et les corps se figent.
Nous sommes au croisement de la mort et de la vie.
Et Jésus est là.
Arrêté dans sa marche sur le chemin des hommes,
Lui, le Vivant, voit la mort qui s’inscrit sur un visage en pleurs.
Mais il voit aussi que la mort n’a pas encore gagné.
C’est le moment étrange
Où l’enfant déjà mort n’est pas encore en terre,
Où la femme sans voix demeure encore debout.
Intervalle dans la mort, au cœur de la mort :
La parole est morte, seuls demeurent ces corps vidés.
Jésus ne demande rien.
Il n’invite pas la femme à croire que tout
N’est pas perdu.
Il voit qu’il ne peut être entendu
De celle qui n’appelle plus personne.
La contagion de la vie
Simplement, doucement c’est Lui qui appelle...
Il appelle la femme : « Ne pleure pas ! » lui dit-il.
Emu de compassion, il se laisse toucher,
Il rejoint le désir déjà mort chez elle.
Il sait mieux que la femme ce qu’elle-même ne peut plus désirer.
Il se met à la place de la femme,
Il appelle, il désire à sa place :
« Jeune homme ! Je te le dis, lève-toi ! »
Le Verbe de Dieu touche ces corps vidés.
Au cœur de la mort, leurs corps sont traversés par
La Parole d’un Autre.
Ils sont animés par l’appel d’un autre
Par le désir d’un autre.
Au cœur de la mort, leurs corps s’animent.
A la place de la parole défunte,
Jésus donne sa Parole de Vivant.
Un appel à vivre venu d’un autre et non d’eux-mêmes.
Un appel venu du Fils unique du Père
Touche les corps et les traverse.
Ils sont remis debout sur la terre des vivants.
Une mère et son fils sont enfantés par la Parole d’un Autre...
Miracle de l’incarnation ;
Parole de Dieu dans notre chair mortelle.
L’instant même de la mort devient jaillissement de la vie
L’heure du silence et de la solitude
Devient celle de la Parole et de la Rencontre.
C’est la contagion de la vie.
« Un grand prophète s’est levé parmi nous,
Et Dieu a visité son peuple ».
Ainsi, d’instant en instant,
De commencement en commencement nous sommes pris
Par un appel à vivre,
Par un désir plus fort qui nous dépasse,
Nous traverse
Et sans cesse nous arrache à la mort qui rôde dans nos vies.
Tel est le surgissement du Dieu de vie au cœur de toutes nos solitudes.
Joie vive de celui qui reçoit la Vie comme un présent.
Celui-là peut se présenter à tout homme,
Touché de compassion,
Il saura à son tour délivrer chacun de sa mortelle solitude.
Devant tout homme, il saura habiter le silence.
Un silence où passent
Tendresse et douceur,
Parole, compassion et amour.
Passage de Dieu dans la demeure des hommes.
Christine Fontaine