Le ministère de l'Intérieur a émis une circulaire qui stipule que des « équipes mobiles » seront dépêchées dans les centres d'hébergement d'urgence afin de recenser les étrangers, êtes-vous inquiet ?
Oui, on sent que les associations sont prises en otage par l'État. Les autorités disent : « On vous finance la prise en charge, mais en échange vous fermez les yeux si j'envoie faire un pointage par des policiers dans votre centre d'hébergement. » C'est un chantage indigne. Le ministère de l'Intérieur dit maintenant que ce ne sont plus des policiers mais des agents administratifs. On joue sur les mots. Ça fait des mois que des policiers en civil venaient. Les fonctionnaires viennent peut-être tout juste de changer. Mais sur le fond, ce n'est juste pas possible.
Plus largement, on constate actuellement un durcissement des conditions de vie des migrants...
C'est exact. L'été, l'État fait en sorte qu'ils n'aient pas accès à l'eau et aux toilettes ; l'hiver, des poli¬ciers détruisent les tentes et les duvets. C'est inac¬ceptable. Cela blesse l'humanité de ceux qui ont reçu de tels ordres.
J'ai rencontré il y a quelques mois des lycéens qui ont eu des amendes de plu¬sieurs centaines d'euros pour avoir donné des sandwichs aux migrants porte de la Chapelle, à Paris. Ailleurs, des militants sont poursuivis pour aide au séjour d'étranger en situation irrégulière. C'est une folie.
La loi d'amour du prochain s'impose à tout autre précepte. L'obéissance à la loi civile ne peut pas empêcher de donner à manger à quelqu'un ou de le secourir. Je comprends que des gens désobéissent. Que l'État aille jusqu'au bout de sa logique : supprimons le délit de non-assistance à personne en danger, et écrivons dans la loi que les migrants ne sont pas des personnes !
Vous êtes révolté par cette situation ?
D'un côté, l'État parle de fraternité à tout bout de champ, d'un autre, il met les migrants de plus en plus loin de nos yeux. Les autorités font comme s'ils n'existaient pas, un peu comme les « intouchables » en Inde. C'est pervers. Tant qu'on ne rencontre pas des migrants, qu’on n'échange pas avec eux, on ne peut pas les accueillir. Quand il y a un accident grave, l'État envoie une armée de psys dans les écoles et les villages. Là, des milliers de personnes traversent la Méditerranée, des déserts, ont parfois été victimes de torture, de viol, pris comme esclaves... et on les laisse dormir sur le bitume, sans pouvoir parler de ce qu'ils ont vécu. C'est de l'ordre du scandale.
Il faudrait une décision politique forte, celle d’enseigner les rudiments de la langue fran¬çaise à tous, qu'ils soient amenés ou pas à rester sur notre territoire.
Comme prêtre, quel message souhaitez-vous faire passer ?
Les migrants nous renvoient à une question existentielle et à un enjeu spirituel : comment traite-t-on les plus petits dans notre société ?
C'est sur l'amour du prochain que nous serons jugés par Dieu. Les chrétiens doivent se rappeler cette exigence évangélique. La bienveillance et l'accueil doivent toujours être premiers. Le migrant est d'abord un frère. Je comprends que leur arrivée suscite des inquiétudes. Mais le rôle des politiques est justement de nous sortir de nos peurs et d'éclairer les consciences. Et surtout pas de cultiver ces peurs.
Les autorités nous déclarent que les Français ne sont pas prêts à accueillir les migrants. Je les invite à venir voir des gens qui ne sont pas parmi les plus aisés et qui se retroussent les manches pour, tout simplement, traiter humainement les gens qui sont là. Ces associations sont magnifiques. L'Église doit être au service de l'intelligence et dire une parole forte aux politiques pour provoquer une prise de conscience.
Propos recueillis par Jacques Duplessy
Peinture : art africain anonyme