Germaine Richier, Christ, 1949-1950,
bronze,
église Notre-Dame-de Toute-Grâce, Assy (Haute-Savoie).
Germaine Richier (1904-1959) est une très grande sculptrice moderne, injustement méconnue en raison de sa mort prématurée, qui a réalisé un des chefs d’œuvre incontestables de l’art contemporain pour l’église Notre Dame de Toute Grâce, à Assy.
Cette chapelle de montagne doit son existence au chanoine Devemy, aumônier du sanatorium installé sur le plateau d’Assy qui souhaitait dans les années 1930 un lieu de culte et de prière pour les malades de la tuberculose. La réalisation en est confiée en 1937 à un jeune architecte de la région, Maurice Novarina, qui deviendra dans les années 1950 un des acteurs du renouveau de l’art catholique. L’architecte invente une forme solide qui fait écho au grandiose paysage environnant. Et, aidé ou guidé par son ami dominicain le Père Couturier, Devemy souhaite décorer la chapelle d’œuvres modernes. Il a la chance de rencontrer d’abord Rouault à qui il commande des vitraux d’une force expressive marquante puis, dans la foulée, il fait appel, ce qui est prophétique et révolutionnaire en 1938, à Fernand Léger pour la mosaïque de la façade, à Matisse, Braque, Chagall, Bonnard, Lurçat, Lipchitz et tant d’autres. Chacun vient avec sa singularité plastique, sa force de vie, son sens du dessin et de la couleur.
La commande la plus marquante est assurément celle, passée en 1949, à Germaine Richier, du Christ installé dans le chœur en position centrale. Sans croix, d’un corps décharné marqué par le souvenir des rescapés de la Shoah comme par la lecture du serviteur souffrant (Isaïe 53), la figure s’impose par sa violence tragique à nulle autre pareille. L’expressionnisme pathétique du corps n’empêche pas que les gestes des bras immensément ouverts se montrent résolument accueillants, paternels. Et, sur le visage mutilé, déformé et déshumanisé par la souffrance, se lit dans la déchirure même des traits une grandeur, une puissance que rien ne peut désarmer. Jésus du Vendredi Saint, Jésus de la gloire dans la croix, crucifix dans lequel seule la patine dorée du bronze laisse entrevoir une promesse d’aube.
La violence de l’œuvre suscite la polémique, attisée autant par des groupuscules traditionnalistes que par une photographie en noir et blanc qui assombrit encore la figure. Et, pour étouffer le problème, la décision est prise le 1er avril 1951 par l’évêque d’Annecy, Monseigneur Cesbron, de retirer l’objet du scandale de la chapelle qui a été consacrée le 4 août 1950. Il y eut des cris, des protestations, des clameurs violentes, qui paraissent aujourd’hui plus que légitimes face à l’arbitraire d’une décision injuste, non fondée esthétiquement. Il y eut surtout ce qu’on nomma « la querelle de l’Art Sacré » entre les tenants d’une église et d’un art modernes et la position romaine, attachée à une tradition sans vie.
L’œuvre ne put retrouver sa place réelle qu’après 1968, pour la fête de Pâques 1969.
Et aujourd’hui, ce Christ crie l’horreur absolue de la mort qui, pourtant, n’a pas le dernier mot.
Paul-Louis Rinuy