Les chrétiens d'Orient veulent bousculer l'Eglise
Après le synode
C'était quelques jours après le synode de Rome, dont le drame irakien était un thème majeur. Dimanche 31 octobre, la communauté
chrétienne irakienne, l'Irak, la communauté chrétienne et, au-delà, la communauté humaine ont été frappés par un terrible massacre.
64 personnes, dont 44 fidèles et deux jeunes prêtres, mais aussi des policiers et des secouristes, musulmans, ont péri, tués par un
commando d'Al-Qaïda, et lors de l'assaut de la police irakienne contre ce groupe qui avait pris en otages une centaine de personnes.
Cela s'est passé dans la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours, de rite syro-catholique, dans le quartier Kerrada de Bagdad.
Depuis l'invasion américaine - en dehors de toute légalité - de l'Irak, le 20 mars 2003, un pays, déjà exsangue du fait d'un
embargo injuste, a été pratiquement détruit. Des centaines de milliers de civils - entre 300.000 et un million, selon les estimations -
ont péri, dont de nombreuses femmes enceintes empêchées de se rendre à l'hôpital, des passants, tués par l'armée d'occupation sans
sommation parce qu'ils avaient franchi une ligne dont ils ignoraient l'existence, des journalistes, des médecins. Des civils et des
militaires de toute confession, de tous milieux. Al-Qaïda, qui n'existait pas en Irak sous le régime baasiste, en a profité pour
s'installer en force. Et il menace tout le monde, notamment les chiites, mais aussi les chrétiens, dont il demande, comme en Egypte,
le départ. Cela ne se fera pas. Ces chrétiens qui vivent en Irak, évangélisés par l'apôtre Thomas et ses disciples peu après la
Pentecôte, et qui s'expriment toujours en araméen, la langue du Christ, ont déjà connu de terribles souffrances. Ils se sont toujours relevés.
De près d'un million avant la guerre, les chrétiens, en majorité chaldéens (mais il y a aussi ceux de rite syrien-occidental,
comme les victimes de dimanche) ne sont plus que 4 à 500.000 dans leur pays, l'Irak, auquel ils ont toujours été loyaux et fidèles.
La solidarité internationale, chrétienne, mais aussi musulmane, s'est manifestée immédiatement. Il est vrai que les chrétiens qui,
à la différence des communautés sunnites ou chiites, n'ont aucune protection, aucune milice, ont été déjà durement frappés depuis
2003. Combien ont été enlevés, tués, ou rançonnés! L'archevêque de Mossoul, Faraj Raho a été lâchement assassiné en février 2008.
Mais s'il est bon et juste que s'ouvrent les portes de pays, comme la France, qui peuvent sauver de la mort certaine, des Irakiens,
notamment des chrétiens, s'il est bon de soigner ceux qui ont été blessés dans la cathédrale le 31 octobre, il faut, bien sûr,
une action internationale d'envergure pour apporter la stabilité à ce pays et permettre à tous, chrétiens ou non, de rester ou de revenir chez eux.
Des chrétiens résolus
Affaiblis par l'exode des Palestiniens et des Irakiens, meurtris par l'instabilité régionale qui les fragilise, inquiets de la montée
d'un radicalisme musulman, les Chrétiens d'Orient veulent montrer leur vitalité, et même bousculer l'Eglise.
Déjà, leur rôle avait été immense dans le Concile Vatican II. Nous leur devons ce geste de fraternité, de "paix du Christ"
à chaque messe, la concélébration, la communion sous les deux espèces et la célébration dans les langues du pays au lieu du latin.
Initiative heureuse, Benoit XVI a réuni pour la première fois en synode, du 10 au 24 octobre, les 185 évêques ou vicaires patriarcaux
catholiques -les catholiques de rite oriental sont très minoritaires parmi les 105 millions de Chrétiens d'Orient dont 20 au Proche-Orient.
Ce furent des discussions à bâtons rompus, dures parfois, en public ou en privé, auxquelles le pape a assisté avec assiduité, semblant
parfois découvrir un monde trop éloigné des préoccupations romaines.
Mais il n'a dit "non" à rien, et a même convoqué un nouveau synode en 2012.
Et ils ne sont pas d'accord sur tout, loin de là, les évêques d'Orient! Bien sûr, avec tout le respect dû au père
qu'ils ne contestent en rien, et en langage très feutré, voire diplomatique, ils font valoir, presque unanimement,
quatre revendications. Tout d'abord, le rôle de leurs patriarches (pour mémoire chaldéen, syrien-catholique, copte-catholique,
maronite, arménien catholique, melkite, mais aussi latin à Jérusalem) qui devrait avoir "les coudées plus franches" vis-à-vis
de leurs fidèles de la diaspora. Bref avoir un droit de regard plus substantiel, par exemple sur l'organisation ecclésiale
du million de Palestiniens melkites réfugiés dans les deux Amériques.
Ils demandent que les prêtres orientaux mariés puissent officier -ce qui est jusqu'ici très rare- en Occident,
comme cela est permis aux Anglicans passés récemment au catholicisme.
Et puis, ces Pères, en s'appuyant subtilement sur les directives bien anciennes de Léon XIII,
estiment que l'Eglise latine doit s'abstenir de tout "prosélytisme" -comme ce serait le cas de Chrétiens
indiens syro-malabares dans le Golfe- en direction de leurs fidèles.
L'arabe enfin, devrait devenir une des langues de l'Eglise. Lors des deux audiences pontificales qui se
sont tenues pendant le synode, Benoit XVI a parlé en français, allemand, espagnol, polonais, et dans d'autres
langues européennes. Mais pas un mot, ne serait-ce que symboliquement, en arabe ou en persan, alors qu'à
quelques mètres les "chrétiens d'Orient" travaillaient ou priaient.
Un dialogue ardu avec l'islam
Le document final appelle à la poursuite du dialogue avec l'islam et le judaïsme. Un rabbin et deux dignitaires
musulmans sont venus convaincre de leur bonne volonté de donner toute leur place aux chrétiens. Mais la réalité
est toute autre. Le dialogue religieux judéo-chrétien continue de progresser. Mais, la politique ne peut être
occultée. Et le synode a demandé la libération des terres arabes occupées par Israël, et -on les avait
oubliées- l'application des résolutions de l'ONU. De même, il a plaidé pour un statut "juste" pour Jérusalem,
garantissant la liberté des trois religions. Le gouvernement de Tel Aviv a vivement protesté, d'autant que
l'évêque melkite de Newton (Etats-Unis), Mgr Cyrille Salim Bustros, a rejeté le droit d'Israël de se référer
à la Bible, et à la Terre promise pour justifier sa politique.
Avec l'islam, le problème se pose différemment. Un prélat syro-catholique libanais, Mgr Raboula Antoine
Beylouni, a, lui, mis directement en cause le Coran, qui "donne au musulman le droit de juger les chrétiens
et de les tuer"...Cette approche était très minoritaire, et tous les évêques -même lui- ont appelé au renforcement
du dialogue islamo-chrétien, même s'il n'y a pas, ou très peu, de réciprocité, de possibilités pour les musulmans de
se convertir au christianisme, l'inverse étant possible.
L'évêque chaldéen de Mossoul (Irak), Mgr Louis Sako, a plaidé pour « un effort sérieux pour le dialogue avec
les musulmans », jugeant que sinon, « il n'y aurait pas de paix ni de stabilité». « Ensemble, nous pouvons éliminer
les guerres et toutes les formes de violence », a-t-il affirmé.
Mgr André Vingt-Trois, en tant qu'Ordinaire des chrétiens d'Orient en France, s'est montré apaisant. "Le
musulman n'est ni une menace, ni un danger. Les Eglises disent: 'Nous voulons vivre avec lui, nous le
respectons dans sa croyance, et nous demandons à être respectés dans notre foi, sans être soupçonnés a priori de prosélytisme".
Mgr Angelo Sodano, doyen des cardinaux, a jugé "urgent d'oeuvrer pour que cessent les courants agressifs de l'islam". Il
convient cependant de « distinguer nettement entre islam et fondamentalisme » pour favoriser le dialogue,
a déclaré Mgr Georges Nicolas Haddad, du Liban.
Vaincre l'ignorance
Beaucoup jugent, à l'instar de l'évêque d'Alep, en Syrie, Gregorios Youhanna Ibrahim, que « l'ennemi
le plus dangereux que les chrétiens et les musulmans doivent affronter est l'ignorance » réciproque,
ils estiment que c'est dans la vie quotidienne que le dialogue doit commencer. « Le terrorisme veut vider
l'Orient de la présence des chrétiens, mais la majorité des musulmans est tolérante et se montre opposée
à cet exode », a déclaré Mgr Youhanna Golta, évêque copte catholique égyptien.
« Il faut éviter de provoquer l'islam par des gestes nuisibles comme les caricatures danoises ou l'appel
à brûler le Coran », a affirmé l'archevêque maronite de Damas, Mgr Samir Nassar.
Les écoles et les universités « fréquentées par les chrétiens et les musulmans » sont « des laboratoires
indispensables au vivre-ensemble », a affirmé le cardinal français Jean-Louis Tauran, président du Conseil
pontifical pour le dialogue interreligieux.
Des initiatives communes ont été prises avec les musulmans en 2008 et en 2009, a rappelé Mgr Élias Nassar,
du Liban : concerts de chants religieux mixtes, expositions, tournois sportifs et même une pièce de théâtre
où l'acteur incarnant saint Paul était... musulman.
Ce synode, évidemment beaucoup trop masculin -de rares femmes parmi
les experts-, aura été un premier pas. A la fois pour connaître, comprendre, aider les chrétiens
d'Orient, dans la souffrance. Mais aussi pour vaincre l'ignorance, ce fléau qui engendre les conflits,
les guerres mêmes. Et aussi pour que l'Eglise tout entière s'enrichisse des expériences, du dynamisme,
de la foi et de l'universalité de ces chrétiens pour nous faire revenir, à travers eux qui en sont les
descendants directs, à l'esprit évangélique et fraternel des "premier chrétiens". Et que le monde
se remémore que l'Eglise, ce n'est pas seulement Rome.
Jean-Michel Cadiot