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Après le synode des chrétiens d'Orient
Jean-Michel Cadiot

Jean-Michel Cadiot fait partie de l'équipe de « Dieumaintenant ». Journaliste à l'AFP il a suivi de près le Synode qui, à la veille du drame de Bagdad, réunissait à Rome les responsables des Eglises du Proche-Orient. Il a bien voulu nous donner un compte-rendu très riche de ces travaux qui, sans doute, auront des conséquences pour la politique du Proche-Orient et pour l'ensemble de l'Eglise catholique : Les chrétiens d'Orient veulent bousculer l'Eglise.

Dans ce cadre, Jean-Michel a pu interviewer l'évêque d'un diocèse qui, bien qu'un des plus petits de l'ensemble de l'Eglise, vit dans des conditions qui appellent notre communion. Monseigneur Ramzi Garmo, en effet, est archevêque chaldéen de Téhéran : Rencontre avec Monseigneur Ramzi Garmo, archevêque chaldéen de Téhéran

(1) Commentaires et débats


Les chrétiens d'Orient veulent bousculer l'Eglise

Après le synode

C'était quelques jours après le synode de Rome, dont le drame irakien était un thème majeur. Dimanche 31 octobre, la communauté chrétienne irakienne, l'Irak, la communauté chrétienne et, au-delà, la communauté humaine ont été frappés par un terrible massacre. 64 personnes, dont 44 fidèles et deux jeunes prêtres, mais aussi des policiers et des secouristes, musulmans, ont péri, tués par un commando d'Al-Qaïda, et lors de l'assaut de la police irakienne contre ce groupe qui avait pris en otages une centaine de personnes. Cela s'est passé dans la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours, de rite syro-catholique, dans le quartier Kerrada de Bagdad.

Depuis l'invasion américaine - en dehors de toute légalité - de l'Irak, le 20 mars 2003, un pays, déjà exsangue du fait d'un embargo injuste, a été pratiquement détruit. Des centaines de milliers de civils - entre 300.000 et un million, selon les estimations - ont péri, dont de nombreuses femmes enceintes empêchées de se rendre à l'hôpital, des passants, tués par l'armée d'occupation sans sommation parce qu'ils avaient franchi une ligne dont ils ignoraient l'existence, des journalistes, des médecins. Des civils et des militaires de toute confession, de tous milieux. Al-Qaïda, qui n'existait pas en Irak sous le régime baasiste, en a profité pour s'installer en force. Et il menace tout le monde, notamment les chiites, mais aussi les chrétiens, dont il demande, comme en Egypte, le départ. Cela ne se fera pas. Ces chrétiens qui vivent en Irak, évangélisés par l'apôtre Thomas et ses disciples peu après la Pentecôte, et qui s'expriment toujours en araméen, la langue du Christ, ont déjà connu de terribles souffrances. Ils se sont toujours relevés.

De près d'un million avant la guerre, les chrétiens, en majorité chaldéens (mais il y a aussi ceux de rite syrien-occidental, comme les victimes de dimanche) ne sont plus que 4 à 500.000 dans leur pays, l'Irak, auquel ils ont toujours été loyaux et fidèles.

La solidarité internationale, chrétienne, mais aussi musulmane, s'est manifestée immédiatement. Il est vrai que les chrétiens qui, à la différence des communautés sunnites ou chiites, n'ont aucune protection, aucune milice, ont été déjà durement frappés depuis 2003. Combien ont été enlevés, tués, ou rançonnés! L'archevêque de Mossoul, Faraj Raho a été lâchement assassiné en février 2008.

Mais s'il est bon et juste que s'ouvrent les portes de pays, comme la France, qui peuvent sauver de la mort certaine, des Irakiens, notamment des chrétiens, s'il est bon de soigner ceux qui ont été blessés dans la cathédrale le 31 octobre, il faut, bien sûr, une action internationale d'envergure pour apporter la stabilité à ce pays et permettre à tous, chrétiens ou non, de rester ou de revenir chez eux.

Des chrétiens résolus

Affaiblis par l'exode des Palestiniens et des Irakiens, meurtris par l'instabilité régionale qui les fragilise, inquiets de la montée d'un radicalisme musulman, les Chrétiens d'Orient veulent montrer leur vitalité, et même bousculer l'Eglise.

Déjà, leur rôle avait été immense dans le Concile Vatican II. Nous leur devons ce geste de fraternité, de "paix du Christ" à chaque messe, la concélébration, la communion sous les deux espèces et la célébration dans les langues du pays au lieu du latin.

Initiative heureuse, Benoit XVI a réuni pour la première fois en synode, du 10 au 24 octobre, les 185 évêques ou vicaires patriarcaux catholiques -les catholiques de rite oriental sont très minoritaires parmi les 105 millions de Chrétiens d'Orient dont 20 au Proche-Orient.

Ce furent des discussions à bâtons rompus, dures parfois, en public ou en privé, auxquelles le pape a assisté avec assiduité, semblant parfois découvrir un monde trop éloigné des préoccupations romaines.
Mais il n'a dit "non" à rien, et a même convoqué un nouveau synode en 2012.
Et ils ne sont pas d'accord sur tout, loin de là, les évêques d'Orient! Bien sûr, avec tout le respect dû au père qu'ils ne contestent en rien, et en langage très feutré, voire diplomatique, ils font valoir, presque unanimement, quatre revendications. Tout d'abord, le rôle de leurs patriarches (pour mémoire chaldéen, syrien-catholique, copte-catholique, maronite, arménien catholique, melkite, mais aussi latin à Jérusalem) qui devrait avoir "les coudées plus franches" vis-à-vis de leurs fidèles de la diaspora. Bref avoir un droit de regard plus substantiel, par exemple sur l'organisation ecclésiale du million de Palestiniens melkites réfugiés dans les deux Amériques.

Ils demandent que les prêtres orientaux mariés puissent officier -ce qui est jusqu'ici très rare- en Occident, comme cela est permis aux Anglicans passés récemment au catholicisme.

Et puis, ces Pères, en s'appuyant subtilement sur les directives bien anciennes de Léon XIII, estiment que l'Eglise latine doit s'abstenir de tout "prosélytisme" -comme ce serait le cas de Chrétiens indiens syro-malabares dans le Golfe- en direction de leurs fidèles.

L'arabe enfin, devrait devenir une des langues de l'Eglise. Lors des deux audiences pontificales qui se sont tenues pendant le synode, Benoit XVI a parlé en français, allemand, espagnol, polonais, et dans d'autres langues européennes. Mais pas un mot, ne serait-ce que symboliquement, en arabe ou en persan, alors qu'à quelques mètres les "chrétiens d'Orient" travaillaient ou priaient.

Un dialogue ardu avec l'islam

Le document final appelle à la poursuite du dialogue avec l'islam et le judaïsme. Un rabbin et deux dignitaires musulmans sont venus convaincre de leur bonne volonté de donner toute leur place aux chrétiens. Mais la réalité est toute autre. Le dialogue religieux judéo-chrétien continue de progresser. Mais, la politique ne peut être occultée. Et le synode a demandé la libération des terres arabes occupées par Israël, et -on les avait oubliées- l'application des résolutions de l'ONU. De même, il a plaidé pour un statut "juste" pour Jérusalem, garantissant la liberté des trois religions. Le gouvernement de Tel Aviv a vivement protesté, d'autant que l'évêque melkite de Newton (Etats-Unis), Mgr Cyrille Salim Bustros, a rejeté le droit d'Israël de se référer à la Bible, et à la Terre promise pour justifier sa politique.

Avec l'islam, le problème se pose différemment. Un prélat syro-catholique libanais, Mgr Raboula Antoine Beylouni, a, lui, mis directement en cause le Coran, qui "donne au musulman le droit de juger les chrétiens et de les tuer"...Cette approche était très minoritaire, et tous les évêques -même lui- ont appelé au renforcement du dialogue islamo-chrétien, même s'il n'y a pas, ou très peu, de réciprocité, de possibilités pour les musulmans de se convertir au christianisme, l'inverse étant possible.

L'évêque chaldéen de Mossoul (Irak), Mgr Louis Sako, a plaidé pour « un effort sérieux pour le dialogue avec les musulmans », jugeant que sinon, « il n'y aurait pas de paix ni de stabilité». « Ensemble, nous pouvons éliminer les guerres et toutes les formes de violence », a-t-il affirmé.

Mgr André Vingt-Trois, en tant qu'Ordinaire des chrétiens d'Orient en France, s'est montré apaisant. "Le musulman n'est ni une menace, ni un danger. Les Eglises disent: 'Nous voulons vivre avec lui, nous le respectons dans sa croyance, et nous demandons à être respectés dans notre foi, sans être soupçonnés a priori de prosélytisme".

Mgr Angelo Sodano, doyen des cardinaux, a jugé "urgent d'oeuvrer pour que cessent les courants agressifs de l'islam". Il convient cependant de « distinguer nettement entre islam et fondamentalisme » pour favoriser le dialogue, a déclaré Mgr Georges Nicolas Haddad, du Liban.

Vaincre l'ignorance

Beaucoup jugent, à l'instar de l'évêque d'Alep, en Syrie, Gregorios Youhanna Ibrahim, que « l'ennemi le plus dangereux que les chrétiens et les musulmans doivent affronter est l'ignorance » réciproque, ils estiment que c'est dans la vie quotidienne que le dialogue doit commencer. « Le terrorisme veut vider l'Orient de la présence des chrétiens, mais la majorité des musulmans est tolérante et se montre opposée à cet exode », a déclaré Mgr Youhanna Golta, évêque copte catholique égyptien.

« Il faut éviter de provoquer l'islam par des gestes nuisibles comme les caricatures danoises ou l'appel à brûler le Coran », a affirmé l'archevêque maronite de Damas, Mgr Samir Nassar.

Les écoles et les universités « fréquentées par les chrétiens et les musulmans » sont « des laboratoires indispensables au vivre-ensemble », a affirmé le cardinal français Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

Des initiatives communes ont été prises avec les musulmans en 2008 et en 2009, a rappelé Mgr Élias Nassar, du Liban : concerts de chants religieux mixtes, expositions, tournois sportifs et même une pièce de théâtre où l'acteur incarnant saint Paul était... musulman.

Ce synode, évidemment beaucoup trop masculin -de rares femmes parmi les experts-, aura été un premier pas. A la fois pour connaître, comprendre, aider les chrétiens d'Orient, dans la souffrance. Mais aussi pour vaincre l'ignorance, ce fléau qui engendre les conflits, les guerres mêmes. Et aussi pour que l'Eglise tout entière s'enrichisse des expériences, du dynamisme, de la foi et de l'universalité de ces chrétiens pour nous faire revenir, à travers eux qui en sont les descendants directs, à l'esprit évangélique et fraternel des "premier chrétiens". Et que le monde se remémore que l'Eglise, ce n'est pas seulement Rome.

Jean-Michel Cadiot


Rencontre avec Monseigneur Ramzi Garmo
archevêque chaldéen de Téhéran


"Avec les musulmans, c'est plus un dialogue sur la vie qu'un dialogue religieux"

CITE DU VATICAN - Parmi les 180 participants du synode pour les évêques du Moyen-Orient qui s'est tenu au Vatican du 10 au 24 octobre, l'achevêque chaldéen de Téhéran, Mgr Ramzi Garmo, qui est à la tête d'un des diocèse comptant le moins de fidèles - environ 5.000 -, dans un pays en crise, vivant depuis 20 ans sous un régime islamique. Les chrétiens jouissent de la liberté de culte, mais comme minorités, c'est-à-dire qu'ils sont soit chaldéens (ou assyriens, la branche séparée de Rome, plus nombreuse), parlant et utilisant dans leur liturgie l'araméen; soit arméniens -apostoliques, très rarement catholiques, au nombre de 150.000-, qui s'expriment en arménien.

Bien sûr, tous les chrétiens iraniens parlent persan. C'est leur langue de citoyens, leur langue au travail, dans la rue. Mais la langue persane n'a pas vraiment droit de cité dans les églises, car elle concernerait des "convertis", ce qui est normalement interdit.

L'exode de cette population chrétienne, attirée souvent par des offres alléchantes de "meilleure vie" en Occident, et qui se sent affaiblie, menacée, est terrible. Il y a un millénaire, l'Eglise de l'Orient (ou Eglise de Perse), qui était nestorienne, et dont les Eglises chaldéennes et assyriennes sont les héritières, comptait plus de 80 millions de fidèles, de l'Egypte à la Chine, soit plus que Rome et Constantinople réunies! Cette "Eglise de l'Orient", dont les Chaldéens sont issus, mais qui ont abjuré le nestorianisme pour devenir membres de l'Eglise catholique, est la seule Eglise orientale née dans l'Empire perse, et non dans l'Empire romain.

Mgr Garmo, un homme qui veut revivifier sa communauté, en l'ouvrant et la modernisant, a répondu aux questions de "Dieu maintenant", à l'occasion du Synode, soit quelques jours après le drame de Bagdad.

Q: A quoi sert ce Synode?

R: C'est une occasion privilégiée pour les évêques du Moyen-Orient et de la diaspora de se rencontrer, se connaître. C'est une grande chance. Les interventions, très riches, nous aident à connaître les situations, les difficultés, et font naître des solutions. Les thèmes soulevés sont graves: émigration, car les pays du Moyen-Orient se vident de leur population chrétienne, instabilité, en particulier en Irak, une instabilité qui perdure, et fragilise les chrétiens, conflit israélo-palestinien, dialogue avec nos frères séparés, et avec les autres religions.
Bien sûr, en elle-même, cette réunion ne suffira pas. Ce n'est pas une fin en soi. Il faudra appliquer les décisions sur place, une fois revenus chez nous. Ce Synode lance un message à nos pasteurs pour qu'ils soient plus conscients de leur rôle, et aussi qu'ils conscientisent le peuple. Ce que nous devons être, dans cet univers musulman, c'est des témoins, des modèles à suivre. Nous devons être des témoins de la foi chrétienne. Les chrétiens ont une mission, ils doivent rester dans ce pays, l'Iran, où nous sommes numériquement une toute petite minorité, malgré les difficultés politiques. Il nous faut rester autant que possible dans les pays où nous sommes présents, malgré les tensions qui règnent, en Irak en particulier.

Q: Qu'en-est il de la liberté religieuse en Iran?

R: Nous essayons de demander aux autorités plus de liberté religieuse. Le chrétien peut se convertir, le musulman ne le peut pas. Nous ne faisons pas de prosélytisme. Mais si quelqu'un frappe à notre porte, si quelqu'un vient à nous, comment le rejeter ? Nous avons eu néanmoins la grande joie récemment d'ordonner deux jeunes prêtres iraniens.

Q: Où en est le dialogue avec les Assyriens, et avec les Musulmans ?

R: Malheureusement, avec les Assyriens, (c'est-à-dire la branche qui reste séparée de Rome, elle-même divisée en deux Patriarcats)- le dialogue est au point mort, alors qu'il a été riche. Il y a aussi le dialogue islamo-chrétien. Mais, avec les Musulmans, c'est plus un dialogue sur la vie qu'un dialogue religieux. Oui, nous pouvons échanger sur la vie, sur l'avenir commun, car nous construisons un même pays. Sur le plan religieux, si ce dialogue n'avance pas beaucoup, c'est aussi dû à l'absence de réciprocité dans le droit à la conversion. C'est un handicap.

Q: La liturgie chaldéenne semble immuable. Comptez-vous faire des changements ?

R: Il nous faut essayer le renouveau. C'est un enjeu important. La liturgie n'est pas un musée. Nous devons garder l'essentiel, mais l'adapter aux conditions culturelles et sociologiques. Cela va être la tache importante des prochaines années : nous ouvrir, nous adapter, affirmer notre existence...

(Propos recuellis par Jean-Michel Cadiot)
Pastels de Jacques Aubelle