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Didier LEVY, 25/5/2016

Une analyse d’une remarquable pénétration. Et qui appelle la lecture de quiconque, croyant ou non croyant, est attiré par le débat d’idées, par le mouvement des idées, concernant le rapport de l’intime au sociétal, au collectif.

Je me suis toutefois arrêté sur plusieurs de ses passages. Avec comme toujours, dans les textes "qui vont de l'avant", ceux de François inclus, cette impression, en regardant le même verre, de le voir une fois comme à moitié plein et la suivante comme à moitié vide.

Je comprends les ménagements nécessaires au maintien de l'unité. Le soin pris de ne pas laisser trop de brebis en route en hâtant l'allure du troupeau. Les tristement récentes "manifs pour tous" ont eu ceci d'utile qu'elles ont montré en arrière plan combien réelle était la menace d'un schisme si le pied sur l'accélérateur appuyait un peu trop fort.

Restent quand même quelques phrases, ou paragraphes, vis à vis desquelles c'est le frein que pour ma part j'ai utilisé - frein qui m'a servi à passer de l'irritation à la seule contrariété.

En gros, sur tout ce qui remet sous le jour - fût-ce en insistant sur la miséricorde, l'accueil, l'accompagnement etc - le fond réglementaire et disciplinaire relatif à la sexualité, et aux façons de la vivre et de s'en accommoder, que l'Institution s'est forgé pour elle-même. Un fond contourné mais pas près d'être abrogé ...

Et également des affirmations comme celle-ci :

"il s’agit de sauvegarder « la joie de l’amour ». (...). Cette joie ne se confond pas avec le plaisir qu’il faut savoir accueillir, bien sûr, mais dans lequel il faut veiller à ne pas s’enfermer ; la joie naît de la « dilatation du cœur » capable de s’ouvrir à la réalité et de l’accueillir, quelle qu’elle soit. Elle se situe dans le dépassement de la satisfaction et de la douleur et permet de découvrir la véritable beauté de l’autre c’est-à-dire son caractère sacré".

Que le "plaisir" ne soit pas toute la joie - encore qu’il soit assurément un don de joie -, c’est une évidence. Mais de là à les dissocier ... Ce qui a un caractère sacré, à mon sens, c'est l'amour : vouloir identifier et différencier ses composantes, ses manifestations, les voies qu'il emprunte, et même les définitions qu'il recouvre, me semble un peu tomber sous le coup de l’avertissement pascalien (de mémoire) :" l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur est que qui veut faire l'ange...".

Au reste (soyons encore davantage contestataire), l’Amour finalement ne dit rien. Sauf l’amour de D.ieu parce que, justement (et ce n’est pas un paradoxe), cet amour là est indicible - au sens où tout ce que nous rapportons à D.ieu se rapporte à l’inexprimable qui est de l’essence même de Celui-ci. La transcendance nous est impénétrable, et comme telle non représentable, non descriptible, à moins d’édifier des idoles sous la forme de concepts prétendument explicatifs et de dogmes à jamais fixés au temps où ils ont été forgés - et qui partant ne laissent plus le passage aux éclairements de l’Esprit.

Cet amour de D.ieu se laisse cependant imaginer. La créature qui le perçoit peut se comparer à l’étroite découpe d’un coin de paysage qui, dans la nuit, est fugitivement prise dans la lumière de phares. Que lui importe de connaître la nature physique de cette lumière, de quelles ondes et de quelles particules elle est constituée, l’éblouissement qu’elle procure suffit à attester de son existence. Et quiconque est saisi par cette lumière aveuglante devine en même temps la puissance de sa source.

L’amour de D.ieu se prête à d’autres métaphores en tant que lumière. Et qui vont dans le même sens, signifiant que la perception fraie son chemin quand l’intellection est impossible. Perception qui s’affirme en effet pareillement capable de contourner l’inintelligible et l’indéfinissable si on privilégie l’évocation de la clarté qui finit par s’épanouir et par tout embrasser au petit matin ; ou celle d’un parcours à la tombée du jour dans un sous-bois de plus en plus obscur qui ménage, sous des feuillages moins denses, des traversées de brèches encore ensoleillées.

Quant à l’amour du couple humain, peut-être ne faut-il pas trop charger sa barque : « … découvrir la véritable beauté de l’autre c’est-à-dire son caractère sacré » lui assigne un très beau projet, mais pourquoi ne pas lui laisser d’abord atteindre des objectifs plus prosaïques ou moins héroïques. Comme de découvrir les vertus à peu près communément accessibles de la douceur, de la confiance et de la tendresse. N’est-ce pas au reste sur elles trois que s’assure une meilleure garantie de durée pour le couple - alors que le doublement, voire le triplement, de notre espérance de vie fait que c’est ‘’une autre paire de manches’’ qu’au XII ème ou même au XVIII ème siècle de rester ensemble « jusqu’à ce que la mort nous sépare » ?

Je veux bien concéder qu’il y a de l’héroïsme dans nos couples (et parallèlement dans le parcours qu’accomplissent, souvent cahin-caha, les familles dans leurs diverses configurations et combinaisons), mais c’est par excellence celui du quotidien, de l’humble et difficile quotidien. Le petit rocher de Sisyphe que les époux, ensemble et chacun de leur côté, s’efforcent de porter chaque jour en haut de la modeste colline qui est leur terrain d’exercice, en espérant qu’il ne redescendra pas ensuite trop bas dans la pente avant l’ascension suivante.

Certes le « ils ne feront plus qu’un seul corps, ils ne feront plus qu’une seule âme » a de quoi nous émouvoir - comment ne pas être transporté par la beauté de cette figuration de l’union conjugale ? - et il a de quoi nous élever l’âme par le dessein qu’il assigne à l’amour humain. Et par l’immensité de l’étendue des significations et des promesses qu’il contient. Quand bien même, chacun pour ce qui nous concerne, nous ne serions pas trop certain du sens ou des sens que nous lui donnons, et encore moins de ne pas nous arrêter à des sens trop superficiels.

Et s’il fallait avoir l’humilité de se dire que cette représentation du couple humain est de l’ordre de la mystique, c'est-à-dire de ce qui ne se pénètre qu’à la mesure des grâces, voire des illuminations, dont l’Esprit nous gratifie et nous fait don individuellement à cet effet ? Une représentation qu’il nous est enjoint de garder en mémoire, de garder présente comme un idéal et d’admirer comme un mystère - un mystère qui participe de celui de l’Amour de D.ieu à notre endroit.

Pour le reste, je me demande si la sainte prudence n‘invite pas à ne pas trop démêler les échanges et les non-dits qui font l’économie du couple, chacun tissant au demeurant pour lui-même les liens que le hasard et la nécessité mettent sur son métier. S’il est bien une bénédiction donnée aux couples humains, il est difficile de croire qu’elle serait tributaire de la conformité à un modèle et à un projet de vie uniques, institués pour la ville et le monde et pour les siècles des siècles.

Et quant à ce fameux ‘’plaisir’’ auquel les clercs depuis des millénaires consacrent à lui assigner des frontières étroitissimes un temps qui aurait été bien utilement épargné au bénéfice du service de la Parole, qu’importe en vérité - dès lors que sa recherche dans le mariage n’est plus jugée, ainsi qu’elle a été pendant des siècles, comme un péché égal à l’adultère - le cheminement emprunté par le couple pour y accéder et pour retarder le moment où le désir de le vivre ensemble, en communion, s’émousse ? La sagesse ne réside-t-elle pas pour ceux qui se prêtent la vocation de directeurs de conscience - et jusqu’où, alors, la conscience va-t-elle pour eux se nicher... - à suivre la conduite d’un lointain évêque de l’Eglise grecque qui tenait que lorsque que l’amour est présent, ce qui se déroule dans la chambre à coucher est toujours béni.

Et encore au regard de la bénédiction qui est dévolue à chaque couple, ne convient-il pas de comprendre que celle-ci appelle certes des grâces accordées aux moments de joie et aux moments de peine et de deuil, mais également celles qui se proposent de secourir l’union qui se déconstruit ? Autrement dit que Celui qui a donné de lui-même pour seule définition « Je suis celui qui suis (ou que je serai) », sait forcément mieux que personne que sa création est faite de ce qui est et de ce qui cesse d’être.

Qu’il est ainsi des amours vivantes, épanouies, voire passionnées et exaltées, et, en regard, des amours mortes. Sans préjudice des amours menacées, des amours hors saison, des amours dites contre-nature (l’amour humain n’est-il pas en lui-même une émancipation de la nature en ce que celle-ci se limite à avantager ce qui est favorable à la perpétuation d’une espèce ?), et des amours destructrices. Sommes-nous en capacité de les discriminer en nous fondant sur un jugement de valeur qui reconnaîtrait celles qui procèdent de l’amour de D.ieu à l’exclusion de toutes les autres - alors que l’intellection de cet amour et de ses voies nous échappe jusqu’à la l’accomplissement des siècles ?

Ce qui fait murmurer à notre oreille une prudente incitation à laisser le couple conduire sa route. Sans s’immiscer dans les bonheurs intimes qu’il rencontre ou qu’il se donne - le nombre et la durée de ceux-ci sur lesquels il peut compter ne valant pas, semble-t-il, qu’on lui recommande d’en user avec modération et avec un luxe de précautions. Et sans le soumettre, au titre de ce qui régirait les bonnes vies et mœurs, à une censure de faits, gestes et pensées propre à alourdir davantage les temps de l’épreuve et du malheur. Y compris quand cette épreuve et ce malheur entourent la fin inéluctable d’un amour et du couple qui en était né.

Incitation qui renvoie les clercs à un réquisitoire jadis prononcé à l’encontre des ‘’sépulcres blanchis‘’, qui ‘’habillait pour l’hiver’’ les scribes et autres gardiens de règles et obligations qui imposent à autrui des charges qu’ils n’ont pas à porter, qu’ils ne sont pas en situation d’avoir à porter.

Et qui en l’espèce, de par ce qui les fait vivre hors des attachements ordinaires de la condition humaine - pour une raison devenue impénétrable (si ce n’est dans une causalité historique assez trivialement matérielle) -, et les voue ainsi à demeurer étrangers aux émotions, aux passions et aux découragements dont ces attachements sont le lieu d’élection, ignorent de quels composants est constituée la matière vivante du couple ; et corrélativement le poids du fardeau dont ils écrasent cette matière en édictant des devoirs et des interdits aussi intangibles que surabondants dont ils sont à peu près seuls à pénétrer les raisons excipées.

Et, si au fond, à la prétention de séparer les amours qui conviendraient au Père et celles qui ‘’sont péchés‘’, et les actes et les choix de vie que qualifieraient respectivement les amours bénies et les amours condamnées, s’opposaient d’abord l’interpellation et l’invalidation contenues dans ce « Tu ne jugeras pas » qui me semble depuis toujours avoir été écrit sur la première page de couverture des Evangiles ?

Injonction dénuée de logique, incompréhensible et a priori incohérente puisque la Loi y est confirmée et déclarée intangible : « il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre (ces traits que Jésus tracera sur le sol ?) jusqu'à ce que tout soit arrivé ». Une Loi certes « accomplie » par la venue du Messie - mais ce en quoi consiste cet accomplissement reste passablement obscur, et ressemble fort à une énigme textuelle délibérée.

Une énigme sur laquelle s’entrouvre cependant, ou au moins s’entrebâille, la péricope de La Femme adultère. Parce non seulement la Loi - le débat ne s’instaure que pour savoir ce qui en l’espèce se règle sur ses prescriptions -, mais également sa jurisprudence - il est ainsi attesté que l’exigence du flagrant délit est bien remplie- y sont pleinement confirmées : c’est sur le terrain de cette jurisprudence, de leur jurisprudence, que les Pharisiens débattent avec le rabbi Jésus. Et l’esprit même de cette jurisprudence habite les protagonistes : la réponse faite aux Pharisiens s’aligne certes sur les dispositions de la Loi, mais c’est sur ce qu’on est tenté d’appeler la casuistique pharisienne que se modèle l’argument qui exonère la coupable du châtiment mosaïque, une casuistique qui ricoche de la faute jugée et de son auteure sur les juges eux-mêmes : « Que le premier d’entre vous qui n’a jamais pêché… ».

Là s’arrête presque toujours la relation du récit évangélique, alors que l’essentiel, et notamment au regard du questionnement que suscite l’interdiction messianique de juger, ne vient qu’ensuite lorsque le rabbi Jésus et la femme coupable se retrouvent seuls après le départ des accusateurs. Pour que soit prononcée la relaxe dont bénéficie cette femme et qui se résume en une brève sentence : « Moi non plus, je ne te condamne pas ».

Relaxe déroutante en ce qu’à la différence d’un acquittement en bonne et due forme qui se serait référé à un pardon venu effacer la faute commise, aucun motif ne lui est attaché. La Femme adultère ressort libre du tribunal improvisé auquel elle a été déférée par l’effet du pouvoir discrétionnaire du juge qui statue en dernier ressort et qui, sans explication, s’interdit de juger. La mise en scène évangélique se referme bien sur un « … va, et désormais ne pèche plus » - qui suggère plutôt une fin convenue, c’est à dire concluant de façon accordée à la morale un récit où celle-ci est restée une considération lointaine, pour ne pas dire absente - mais cette intimation n’éclaire en rien le renoncement à juger qui l’a précédée.

Et encore mois, bien sûr, l’invalidation de l’acte de juger. La péricope de La Femme adultère n’offre ainsi qu’une ouverture minimale centrée sur le cheminement qu’emprunte cette invalidation. En laissant entier le mystère qui entoure l’essence de celle-ci. Dès lors n’est-on pas conduit à se projeter dans l’intelligence la plus globalisante de ce mystère, et à faire de l’interdiction de juger l’un des constituants de l’amour de D.ieu ? Ce qui est, concédons-le, placer l’interrogation d’une raison inconnue dans l’attraction directe du non représentable et de l’impénétrable.

Mais c’est par là opérer une élévation vers le sacré du « Tu ne jugeras pas » et de son symétrique « si tu ne veux pas être jugé ». D’abord parce qu’incorporés à l’amour de D.ieu, ils sont ré agencés par celui-ci d’injonction en promesse- une promesse inscrite au sein de la Promesse, une promesse qui est accomplie dans l’évangile de La Femme adultère en même temps que formulée et qui est réductible à cet énoncé : ‘’tu ne seras pas jugé parce que Je ne veux pas te juger, parce que Je ne veux pas juger’’. Et pour une considération plus essentielle encore qui tient à ce que participant de cet amour de D.ieu, ils le sont du Logos, du Verbe qui dessine la création, du Verbe qui s’est fait Chair.

Rapportés à nos petites problématiques afférentes à la vie conjugale - relation sexuelle, contraception, cohabitation avant le mariage, divorce, remariage, familles recomposées ... - et aux polémiques récurrentes qui entourent la signification du couple et sa liberté - célibat des prêtres, mariage des couples homosexuels, adoptions par ceux-ci … -, ces grandes élévations spirituelles doivent un peu ‘’manquer d’air’’.

Mais dans ces confinements où les sépulcres blanchis voudraient qu’elles fussent dérobées à la vue, elles remplissent bel et bien leur fonction de négatrices irremplaçables posées devant chaque prétention à discriminer ce qui est approprié de ce qui ne le serait pas, et devant chaque aveuglement qui porte à cette prétention. Elles la remplissent chaque fois qu’elles rappellent en mémoire une mise en demeure aussi fulgurante que le « Mane, Thecel, Phares » venu s’écrire sur les murs du palais de Balthazar : ce « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés; absolvez, et vous serez absous » qui s’adresse également à une profanation du sacré - celle qui réside dans l’impiété d’un jugement humain qui affirme discerner une culpabilité dans l’expression de l’amour. Et qui entend la punir.

Un rappel en mémoire qui fait entendre à ‘’qui habet aures audiendi’’ que dans l’Alliance nouvelle, la loi ne saurait avoir d’autre vocation que d’enseigner, de magnifier et d’exalter la soumission à l’amour, corps signifiant de toute grâce. Une soumission qui se différencie et se détourne radicalement de toutes celles qui sont dictées par la peur d’anathèmes et d’exclusions, voire de damnation, et qui n’a d’autre économie que la conversion de l’esprit et l’adhésion de l’âme.

Conversion et adhésion à cette certitude que l’amour n’exclut jamais. Que nul n’est jamais habilité à exclure du chef d’un amour qu’il aurait disqualifié en faisant prévaloir son appréhension du bon et du mauvais, en ayant placée celle-ci plus haut que Celui qui a été le souffle inspirateur de l’amour en cause. Et à cette autre certitude qui nous dit que l’amour ne souffre en définitive d’autre exclusion que celle qu’il prononce à l’encontre de lui-même.

Christine Fontaine, 25/5/2016

Si je ne suis pas la plume finale de cet article sur « Amoris laetitia », j’ai néanmoins collaboré à sa rédaction. C’est à ce titre que je tente de répondre à votre « commentaire ».

Tout d’abord, nous n’avons pas cherché à dire notre point de vue sur le couple et la famille mais à rendre compte – le plus honnêtement possible – de l’exhortation du Pape François. Vous écrivez par exemple : « Je comprends les ménagements nécessaires au maintien de l'unité. Le soin pris de ne pas laisser trop de brebis en route en hâtant l'allure du troupeau. Les tristement récentes "manifs pour tous" ont eu ceci d'utile qu'elles ont montré en arrière-plan combien réelle était la menace d'un schisme si le pied sur l'accélérateur appuyait un peu trop fort. » De qui parlez-vous ? S’il s’agit de nous rédacteurs de cet article, nous n’avons certes pas le désir de créer des schismes mais nous ne cherchons pas non plus à esquiver les divergences. Nous donnons simplement notre point de vue. S’il s’agit du Pape François, je pense qu’il est suffisamment courageux pour risquer des ruptures (voire des schismes) lorsqu’il croit que la vie selon l’Evangile est en cause… Ses déboires avec la Curie n’en sont-ils pas la preuve ?

Plus fondamentalement, vous pensez – si je vous comprends bien – que l’amour (de Dieu mais aussi de l’homme et de la femme) est de l’ordre de l’indicible et dépasse tout ce qu’une loi pourrait en dire… et que l’institution ecclésiale n’a donc pas à légiférer sur le sujet. Si je crois comme vous, que l’amour ne peut jamais se réduire à des comportements définis par des lois, je crois aussi que le mot « amour » est souvent un fourre-tout qui « autorise » à dire et faire n’importe quoi. Je dirais – comme vous - que l’amour opère par-delà toute loi mais - contrairement à vous ? - qu’il n’est pas pour autant sans lois.

Il me semble que c’est dans ce va-et-vient entre les lois de l’amour et l’amour qui dépasse toute loi que le Pape se situe. Il ne change pas essentiellement les lois de l’Eglise (divorce, adultère, etc.). Mais il dit que la singularité d’une histoire humaine peut faire qu’il soit bon d’outrepasser ces lois. Ainsi les lois de l’Eglise retrouvent leur place : elles ne sont plus des instruments d’exclusion mais des points de repère. Elles permettent de sortir d’un pur subjectivisme. Ce va-et-vient entre l’Amour et les lois – toujours à refaire – permet d’apprendre à « bien juger ». En effet si l’Evangile dit, comme vous le soulignez, « Tu ne jugeras pas » il n’invite pas pour autant à s’aveugler sur son propre comportement ou sur celui des autres. Si ne pas juger consistait à ne pas discerner ne serions-nous pas en passe de laisser régner, par exemple, les pervers narcissiques qui savent si bien se convaincre qu’ils agissent pas amour (et tenter d’en convaincre leur entourage) ?

Je suis d’accord avec ce que dit le Pape François… Si j’avais une limite personnelle à émettre c’est qu’il s’en remet peut-être trop au discernement de la hiérarchie, par exemple pour admettre au baptême des couples en situations matrimoniales « irrégulières ». Tout dépend alors de la capacité d’écoute des évêques… Et s’il en est de très ouverts, je crois juste de dire qu’ils ne le sont pas tous… Cependant je pense qu’il est bon – quand on vit une situation matrimoniale « difficile » - d’avoir un interlocuteur croyant qui écoute et aide à se situer… L’évêque est-il nécessairement la seule ou la bonne personne ?

Enfin et par-dessus tout, je crois – avec toute l’équipe animatrice du site "Dieu maintenant" - que le disciple de Jésus-Christ n’est pas sauvé parce qu’il obéit à des lois mais de croire en l’Amour que Dieu lui porte. Ce « mystère de la foi » qui nous sauve est l’eucharistie. Nous croyons que personne n’a le droit d’exclure un croyant de l’eucharistie. Quel que soit le statut de chacun par rapport aux lois de l’Eglise, c’est à lui d’en juger. Cf. nos articles sur le sujet :
A propos de l'accès à l'eucharistie, à l'occasion du synode romain sur la famille
Le Pape ne dit rien sur ce point. Mais le Pape n’a pas la prétention d’avoir le dernier mot sur tout. Dans d’autres textes il en appelle à l’expérience et au discernement des baptisés. Puissions-nous en faire bon usage !

Didier Lévy , 30/5/2016

Je tiens en premier lieu, à lever l’ambiguïté (qui m’est imputable) qui a entraîné votre observation « Tout d’abord, nous n’avons pas cherché à dire notre point de vue sur le couple et la famille mais à rendre compte – le plus honnêtement possible – de l’exhortation du Pape François » : dans son intention, mon propos, quoique sa formulation fût probablement un peu obscure, intégrait bien ce positionnement de votre article. C’est donc bien d’Amoris Laetitia, au vu de l’analyse que vous en faites, dont j’ai dit ‘’je me suis toutefois arrêté sur plusieurs de ses passages’’. Et pour ce qui est du pape François, je le crois bien sûr comme vous « qu’il est suffisamment courageux pour risquer des ruptures (…) lorsqu’il croit que la vie selon l’Evangile est en cause ».

Si nous divergeons sur un point, c’est apparemment sur le risque de schisme. Si j’ai écrit ‘’Je comprends les ménagements nécessaires au maintien de l'unité. Le soin pris de ne pas laisser trop de brebis en route en hâtant l'allure du troupeau’’, c’est en concevant (j’allais mettre : en concédant), qu’un pape est forcément pénétré de la double exigence que comporte sa mission : porter pleinement une parole évangélique et en même temps aller aussi loin qu’il lui est possible d’aller dans le bon usage de la prudence pour prévenir la désunion du peuple des croyants (hiérarchie incluse … puisque hiérarchie il y a …).

Il est vrai que dans la ‘’contrariété’’ dont je fais ensuite état, et qui se rapporte à ce qui, dans la restitution que donne votre compte rendu, m’est apparu trop référencé au discours institutionnel sur la sexualité, sourd aussi un peu de crispation à l’encontre de votre analyse pour quelques passages - dont celui que cite - où j’aurais sans doute aimé lire une distanciation plus marquée vis à vis de ce discours.

Quant à l’essentiel, le rapport entre loi et amour, je ne vois pas d’opposition - en tout cas pas d’opposition tranchée - entre nos points de vue respectifs. Mais plutôt une image différente -et, il est vrai, significativement différente - que nous avons de ce rapport.

Pour moi, l’amour est impénétrable par la notion de loi. Pas seulement par une différence de degré qui renverrait au second terme de la distinction pascalienne (je récuse pour ma part le premier) « «La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle». Mais avant tout parce qu’amour et loi n’appartiennent pas au même ordre. L’esprit humain peut conceptualiser la loi, l’amour, lui, est de l’ordre de l’indicible et du non représentable en ce qu’il est partie à la transcendance. Synonyme du Verbe, du Verbe qui « était au commencement en Dieu », du Logos créateur, son essence nous échappe. Et ce que nous savons du rôle du Verbe-Amour se résume au troisième item de l’Entête de Jean : « Tout devient par lui; hors de lui, rien de ce qui advient ne devient. ».

Au temps où nous sommes de la création, seuls des indices de sa nature, des indices de ce qu’est l’amour de D.ieu, nous sont accessibles : ils se trouvent dans l’élan de la passion qui nous emporte vers une autre créature humaine, dans l’attachement de tendresse qui étaye ordinairement le couple dans sa durée et qui dépasse les compromis, voire les compromissions, dont cette durée est tissée, ou dans l’attendrissement éprouvé devant nos enfants - fût-il parfois trop exigeant de retours et toujours rempli d’inquiétudes. Mais également sans doute dans l’observation du regard d’un chien pour son maitre, s’il s’agit de se représenter ce qu’est l’absolu dans la gratuité de l’amour. Et assurément dans l’émotion ou le bouleversement que provoquent, dans le cœur et dans l’âme, un poème, un vers seul quelquefois, une musique, un chant ; et dans tout émerveillement ressenti devant la beauté - une beauté dont la substance est probablement identique à celle de l’amour ou qui est son écho -, celle d’un paysage qui nous saisit, celle qui a soulevé de joie intérieure et empli de béatitude quiconque, une nuit, a pu apercevoir qu’’’Une immense bonté tombait du firmament’’.

Nous est-il donné de pénétrer plus avant dans le mystère de l’amour de D.ieu ? Pris tous ensemble, ces indices ou ces signes, après tout, ne sont pas censés clore irrévocablement l’espace de la découverte allouée à la créature humaine. Mais pour cette autre pénétration, il ne s’offre vraisemblablement pour seul chemin que l’abandon à l’exultation mystique et à la grâce spécifique qui porte à cette exultation.

L’insertion de l’amour humain dans l’amour de D.ieu - je fais le pari que cette insertion concoure à la conformation d’un cosmos spirituel auquel elle apporte une particule irremplaçable - laisse-t-elle quelque chose de nos attachements sous l’emprise de la loi ? Question qui ainsi formulée, contient sa réponse puisque trancher en faveur de l’affirmative ne consacrerait la loi que telle qu’elle a été « accomplie » par la venue du Messie. Et pour sortir de la perplexité où nous met ce que cet accomplissement comporte de ‘’passablement obscur’’, je fais cet autre pari de me représente celui-ci comme une transmutation de la matière de la loi dans celle de l’amour. Une transsubstantiation qui change en or pur ce qui devient rétroactivement un plomb vil, et qui laisse peut-être entrevoir ou deviner un aperçu de l’eucharistie finale à laquelle est appelée la création.

Second pari qui, s’il est gagnant, récuse la perspective d’un Jugement Dernier en tant que scénographie présidée par un Dieu punisseur ou vengeur. Et qui lui substitue un scénario plus ‘’chrétien’’ de l’entrée dans le Royaume - échéance qui n’est au reste pas forcément devant nous, le temps de la transcendance nous étant inconnu, mais possiblement dans une histoire de la finitude du mal parallèle à la nôtre (au sens de la théorie des univers parallèles). Un scénario qui ne voit personne être ‘’jugé’’, mais chacun accéder un instant à la pleine conscience des atteintes portées en ce monde à l’amour de D.ieu - ce qui vaudrait bien les supplices éternels promis aux damnés.

De ce qui précède, rien n’infère cependant une irresponsabilité de l’amour humain (laissons une célébrissime aria affirmer que l’amour « n'a jamais, jamais, connu de loi »). C’est au reste que se voulait faire entendre, succinctement (ou obscurément), la conclusion de mon commentaire ‘’l’amour ne souffre en définitive d’autre exclusion que celle qu’il prononce à l’encontre de lui-même.’’. Je me référais par là à sa responsabilité vis à vis de l’être qui est son ‘’objet’’ : une responsabilité d’authenticité - quelle que soit la forme qu’épouse cette authenticité - qui est une responsabilité de conscience.

Responsabilité de conscience qui est d’abord faite, ou faite avant tout, d’une responsabilité devant la souffrance susceptible d’être causée à l’être aimé, ou aux êtres successivement ou différemment aimés. Adverbes et pluriel qui veulent attester de la multiplicité des modes suivant lesquels l’amour est vécu. Et signifier plus particulièrement, pour privilégier l’épreuve la plus exemplairement traversée par l’amour humain, que l’adultère n’est pas exclusif de l’amour - l’amour ‘’coupable’ est d’abord un amour, et l’amour ‘’trahi’’, on le sait, peut demeurer un amour. Double défi lancé par l’amour à lui-même et que la loi ne relèvera pas à sa place - ni dans son sens civil, ni (et surtout pas) en son sens clérical. Et auquel répondra seul - s’entend validement - et le plus souvent douloureusement, un choix tiré d’une éthique personnelle : dénouement par le sacrifice, dénouement par la légitimation de l’amour finalement élu … ou dénouement dans la part la plus intime du doute.

Paradoxe que de conclure une glorification de l’amour en mettant en avant une souffrance inséparable de celui-ci ! Comment mieux rendre compte de ce paradoxe qu’en en appelant, quant à la combinaison contradictoire de risques et d’espérances qui est propre aux amours humaines, à l’allégorie qui figure à la fin des dialogues du Dernier métro de François Truffaut et qui précède ses trois ultimes répliques : « l'amour fait mal. Comme les grands oiseaux rapaces, il plane au-dessus de nous, il s'immobilise et nous menace. Mais cette menace peut être aussi une promesse de bonheur » ; puis en citant ces trois répliques elles-mêmes :
– ‘’Tu es belle Hélèna, si belle que te regarder est une souffrance.
– Hier, tu disais que c’était une joie
– C’est une joie, et une souffrance’’.

Joie et souffrance dont on échoue à concevoir qu’elles puissent avoir d’autre départiteur que la transcendance.

Alice Damay-Gouin, 12/6/2016

« Je n’ai pas lu votre exhortation » : commentaire sur votre analyse en forme de lettre au Pape François

Cher François,
Joie et Merci !
Il y a 6 ou 7 ans, le nouveau curé de Louvigné m’a acceptée pour suivre une formation sur l’évangile de saint Luc. Un participant dit : « le pardon à condition que… ».Je bondis : « Le pardon se fait sans condition ! » Silence stupéfait dans la salle. La religieuse qui nous faisait cette formation, a regardé le curé qui ne dit mot et l’on passa à la suite. !!! Bien sûr, j’allais à l’encontre de Jean-Paul II et de Benoît XVI : donner l’absolution à une personne divorcée-remariée à condition de rompre ou de vivre comme frère et sœur…
Ma joie lorsque j’ai vu votre catéchèse sur le père miséricordieux, en mai 2016.
« La miséricorde du Père est débordante, inconditionnelle et elle se manifeste avant même que le fils ne parle ». Joie ! Ravissement ! « Enfin » ai-je pensé !

Cher François,
Je n’ai pas lu votre exhortation. (Quelques bribes seulement). Mon journal a résumé : « miséricorde au cas par cas ». Cela n’a aucun sens pour moi…Cette semaine, j’ai lu la revue « Le Pèlerin ». J’ai donc trouvé la présentation de votre exhortation et quelques extraits. J’ai lu avec joie les n° 296-297 : « La route de l’Eglise, depuis le concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus, celle de la miséricorde et de l’intégration » (Belle affirmation que je ne perçois pas dans les faits, mais enfin !!!) « Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun (chaque personne) à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale pour qu’il (pour qu’elle) se sente l’objet d’une miséricorde ’’imméritée, inconditionnelle et gratuite !’’ » Joie et Merci ! C’est enfin écrit dans ’’le marbre ’’ ! Mais peut-être faut-il le dire et le répéter car cela semble passer inaperçu ? Qui l’a vu ? Qui l’a relevé dans les commentaires ?
Par contre j’ai lu avec consternation, le n° 250. Pas un mot pour les personnes homosexuelles. « Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun (chaque personne) à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale.» Mais ’’votre considération pour les familles’’. C’est une terrible gifle pour ces personnes homosexuelles. On ne leur parle pas mais on s’adresse aux familles qui subissent ce calvaire. Gifle d’autant plus insupportable que votre pontificat a commencé par un « qui suis-je pour juger les (personnes) homosexuelles ? » Bien sûr, à l’époque, on a oublié que vous aviez aussitôt récité ’’le catéchisme’’ à leur sujet.

Cher François,
Vous avez décrit les œuvres de la miséricorde : « Donner à manger aux affamés ; donner à boire aux assoiffés ; vêtir ceux qui sont nus ; abriter les étrangers ; visiter les infirmes, les prisonniers ; ensevelir les morts… conseiller, instruire, exhorter les pécheurs, consoler les affligés ; pardonner les offenses ; supporter patiemment les personnes ennuyeuses ; prier Dieu pour les vivants et les morts… Être proche ; savoir écouter ; conseiller ; enseigner… Dans l’accueil se joue notre crédibilité en tant que chrétien… Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. »
C’est une parole de bon Samaritain qui ‘est une personne respectable, avec sa vision paternaliste, colonialiste, qui sait ce qui est bien ou bon pour moi mais qui, hélas, n’a pas besoin de moi !!!
Apprendre à recevoir, à avoir besoin de l’autre, à lui demander un service…
Apprendre à recevoir les personnes homosexuelles. Ce sont des personnes comme les autres. Je suis tombée des nues lorsque certaines personnes amies m’ont révélé leur homosexualité. Mais aussi quelle joie pour ces personnes d’avoir pu me le dire. Cela n’a rien changé pour moi, si ce n’est une plus grande attention pour elles car elles m’ont fait toucher du doigt leurs souffrances dans leur vie de tous les jours.
Autre regard sur la famille, en cette période de la fête de la Trinité. La famille n’est pas une cellule qui vit en vase clos. Elle vit en relations avec d’autres familles, d’autres personnes. Nous sommes à l’image de Dieu trinitaire donc en relation. Nous avons construit notre mariage, dans une relation d’amour avec le Christ, l’autre et les autres ! Merci François d’avoir parlé de notre vocation dans le sacrement du mariage. Même si cela demeure encore un peu flou ! Par contre je bondis lorsque vous parlez de la joie de la maternité ! Et la paternité ? Est-ce que la joie de la maternité est automatique ? Une obligation ? Encore faudrait-il que cette maternité soit désirée !!! Dans la vie de tous les jours, il y a combien de drames…Une amie m’a signalé que vous avez évoqué l’encyclique ‘’Humanae vitae’’ en ne parlant pas de « permis » ou de « défendu »…C’est un début … Merci.

Cher François,
Pourriez-vous faire un geste pour les personnes homosexuelles, les recevoir, les écouter… ??? A l’avance, Merci.